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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

giné que pour procurer à vos parents ce qui leur manquait de leurs papiers. »

Beffroy de Reigny, ou plutôt le Cousin Jacques, — c’est ainsi que nous le désignerons désormais, — continua de végéter pendant deux ou trois années encore, tantôt à Paris et tantôt en province, envoyant de petites boutades versifiées au Mercure de France, qui les insérait avec plaisir, mais qui ne les payait pas. On était en 1785. Il fallait prendre un parti : ce fut alors qu’il fonda ce journal singulier et tout personnel intitulé : les Lunes du Cousin Jacques, almanach de prose et de vers sur tous les sujets possibles, ou plutôt impossibles. Son premier souscripteur fut M. de Montgolfier : un tel nom devait porter bonheur à un ouvrage s’élevant jusqu’aux astres. Les Lunes, en effet, se virent accueillies avec une faveur marquée, non pas précisément par le public littéraire, mais par un public spécial, recruté dans la bourgeoisie avancée et dans la noblesse de province, parmi les amateurs de comédie de société, les petits-maîtres de robe, les femmes retirées du monde, les plus funèbres et les plus vieux conseillers au parlement, les savants fantasques, les riches qui achètent tout et ne lisent rien, ceux qui passent leur vie à remplir des bouts rimés, ceux qui croient se rajeunir en se procurant tout ce qui paraît de nouveau, et généralement enfin ceux qui s’abonnent par hasard, c’est-à-dire la majorité. À tout ce monde-là, l’esprit du Cousin Jacques allait comme un gant, et bientôt la prospérité de son journal surpassa ses plus audacieuses espérances.

Les Lunes parurent d’abord tous les mois, puis ensuite tous les quinze jours ; chaque numéro forme