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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

dînait un soir chez Lamourette, à l’hôtel de Charost, rue Saint-Honoré, vis-à-vis des Capucins. Parmi les convives, se trouvaient Hérault de Séchelles et Anacharsis Clootz. Ces messieurs étaient d’une gaieté charmante ; seul le Cousin Jacques se faisait remarquer par sa tristesse. « Allons donc ! cher Cousin, lui dit Hérault de Séchelles, vous perdez votre bonne humeur ; voyez, ne sommes-nous pas toujours des Roger-Bontemps ? » À ces paroles, le Cousin Jacques fondit en larmes. « Qu’avez-vous ? s’écria tout le monde avec intérêt ; pourquoi pleurez-vous ? — Hélas ! répondit-il, je pleure de ce que de braves gens comme vous seront victimes de leurs erreurs ; l’enthousiasme vous égare : vous serez tous guillotinés ! » Les convives froncèrent le sourcil. Lamourette se hâta de verser double rasade au prophète inopportun, et le dîner continua après s’être remis de cette secousse.

Disons aussi que plusieurs personnes se faisaient un jeu de sa crédulité en lui rapportant des bruits fabriqués à plaisir. Tantôt c’était Camille Desmoulins qui avait mis sa tête à prix dans un groupe du jardin des Tuileries ; tantôt c’était Robespierre, qui avait dit à un membre de la Convention : « Je ne suis pas étonné que le Cousin Jacques fasse de jolis opéras ; le cygne ne chante jamais mieux qu’à la veille de sa mort ! » Tous ces propos répétés achevèrent d’assombrir son imagination.

Un matin, il écrit au représentant André Dumont, et il lui demande les motifs de sa haine : « Je sais, dit-il, que vous avez parlé de m’arrêter : alors il faudra bien qu’on me rende justice ou qu’on m’égorge ; c’est tout ce que je demande. Tout mon crime est d’avoir