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LE COUSIN JACQUES.

sacrifié les trois quarts de ma vie à obliger mes semblables, sans une obole de rétribution, sans autre fruit que de l’ingratitude et des dangers. » La lettre avait deux pages sur ce ton. Le représentant se contenta d’écrire en marge : Répondre qu’on en a imposé au Cousin Jacques[1].

Nous n’avons pas besoin de dire qu’il est loin de notre pensée de tourner en ridicule cet honnête homme. Nous insistons, c’est vrai, sur ce mélange de témérité et de sensibilité qui faisait le fond de son caractère, mais nous ne nous étonnons que dans une certaine mesure. Les événements d’alors ont exalté bien d’autres cerveaux que le sien.

Quoi qu’il en soit, un homme d’esprit ne se perd jamais entièrement. Il arrivait encore au Cousin Jacques de laisser échapper, de çà de là, quelque saillie ; c’est ainsi que, dans un temps où tout était provisoire, à ceux qui lui disaient : « Bonjour ; comment vous portez-vous ? » il ne manquait jamais de répondre : « Assez bien, provisoirement. »

Cependant, à force d’appeler la foudre, la foudre arriva. Ce même Comité de sûreté générale qui l’avait engagé à revenir à Paris lança contre lui un mandat d’arrêt, comme pour donner raison à sa lugubre humeur et satisfaction à ses tristes pressentiments. Le Cousin Jacques put heureusement s’échapper dans la rue, à demi habillé. On fouilla toute la maison, et les scellés furent apposés sur les meubles. L’influence active de son frère, Beffroy de Beauvoir, député de l’Aisne à la Convention, arrêta les pour-

  1. Bibliothèque dramatique de M. de Soleinne, appendice au tome troisième : autographes, page 13.