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MERCIER.

fit publier l’avis suivant : « Le sieur Ruault, libraire, rue de la Harpe, à Paris, avertit le public qu’il offre au rabais les quatre meilleurs drames de M. Mercier, qu’il donnera à raison de la modique somme de dix sous l’exemplaire broché, savoir : Childéric Ier, roi de France, drame héroïque ; Nathalie, le Juge et Jean Hennuyer, évêque de Lisieux. Ces drames, les seuls dont il ait fait l’acquisition, se vendaient ci-devant, quand on le pouvait, trente sous la pièce. Le libraire prévient les amateurs de la dramaturgie que, passé le mois d’avril prochain, il ne sera plus possible d’en trouver, parce qu’il est déterminé à faire un autre usage des six mille exemplaires qui lui restent. » Mercier ne trouva pas l’annonce plaisante.

Jusque-là, en effet, ce que ses drames lui avaient rapporté de plus positif, c’était un fort bel habit tirant sur le violet, avec lequel il alla faire sa première visite à Voltaire. Du plus loin que le grand homme l’aperçut : « Parbleu ! s’écria-t-il, voilà l’habit de Jean Hennuyer ! » Il ne se dit et ne se passa rien autre chose de remarquable dans cette entrevue. Plus tard, lors du dernier voyage de Voltaire à Paris, dans l’année où il mourut, Mercier retourna le voir, et le grand philosophe daigna cette fois laisser tomber un bon mot de ses lèvres à demi expirantes. « Vous avez si fort surpassé vos confrères en tout genre, lui disait Mercier, que vous surpasserez encore Fontenelle dans l’art de vivre longtemps. — Ah ! monsieur, répondit Voltaire, Fontenelle était un Normand : il a trompé la nature ! » Le mot était des plus jolis, et Mercier s’inclina avec un sourire flatteur. Ce n’était pas cependant qu’il aimât