Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
41
LE TEMPLE DE GNIDE.

Camille ne cherche point à se parer ; mais elle est mieux parée que les autres femmes.

Elle a un esprit que la nature refuse presque toujours aux belles. Elle se prête également au sérieux et à l’enjouement. Si vous voulez, elle pensera sensément ; si vous voulez elle badinera comme les Grâces.

Plus on a d’esprit, plus on en trouve à Camille. Elle a quelque chose de si naïf, qu’il semble qu’elle ne parle que le langage du cœur. Tout ce qu’elle dit, tout ce qu’elle fait a les charmes de la simplicité ; vous trouvez toujours une bergère naïve. Des grâces si légères, si fines, si délicates, se font remarquer, mais se font encore mieux sentir.

Avec tout cela, Camille m’aime : elle est ravie quand elle me voit ; elle est fâchée quand je la quitte ; et, comme si je pouvois vivre sans elle, elle me fait promettre de revenir. Je lui dis toujours que je l’aime, elle me croit : je lui dis que je l’adore, elle le sait ; mais elle est ravie, comme si elle ne le savoit pas. Quand je lui dis qu’elle fait la félicité de ma vie, elle me dit que je fais le bonheur de la sienne. Enfin, elle m’aime tant, qu’elle me feroit presque croire que je suis digne de son amour.

Il y avoit un mois que je voyois Camille, sans oser lui dire que je l’aimois, et sans oser presque me le dire à moi-même : plus je la trouvois aimable, moins j’espérois d’être celui qui la rendroit sensible. Camille, tes charmes me touchoient ; mais ils me disoient que je ne te méritois pas.

Je cherchois partout à t’oublier ; je voulois effacer de mon cœur ton adorable image. Que je suis heureux ! je n’ai pu y réussir ; cette image y est restée, et elle y vivra toujours !