Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/105

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goût. Il a fatigué les sens à lui rendre ce qu’il a perdu, et il a tellement usé le principe de ses passions qu’il est devenu presque incapable de ce qu’on appelle si faussement jouir. Enfin, il s’est jeté dans la débauche, et il y a porté quelques agréments. 5 Mais, quoi qu’on en dise, la débauche ne se raffine point. Ses maîtresses n’ont plus été que les témoins d’une vie non pas libre, mais licencieuse. Mais, dans ces débauches, Pisistrate perdit la raison, et jamais son secret. 10

Les Dieux irrités contre Sicyone envoyèrent, une nuit, un songe à Pisistrate: il crut qu’il étoit le maître de tous les trésors de l’Univers, et ce songe fut cause de la misère publique.

Un homme d’une naissance obscure fut reçu dans 25 la maison dé Pisistrate. Il en fut regardé, d’abord, avec mépris, et, ensuite, sans avoir passé par la considération, il obtint la confiance. Fier d’avoir eu son secret, il osa demander le souverain sacerdoce et l’obtint. Bientôt Pisistrate, lassé du comman- 20 dement, remit dans ces (sic) mains la souveraine puissance. Le perfide préparoit contre lui les plus cruelles ingratitudes. Mais Vénus lui envoya une maladie qui fit évanouir tous ses projets.

Pisistrate a été heureux d’avoir régné dans un 25 temps où l’obéissance prévenoit, pour ainsi dire, le commandement: car, s’il eût régné dans des temps de trouble ou de confusion, la disposition de son esprit étoit telle qu’il n’auroit jamais assez osé, et qu’il auroit trop entrepris. 30 Je crois bien que Pisistrate craint les Dieux