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louise labé

Mais non feras, j’ay subjugué les Dieux
Es bas Enfers, en la Mer et es Cieux.
Et penses-tu que n’aye tel pouvoir
Sur les humains, de leur faire savoir
Qu’il n’y a rien qui de ma main eschappe ?
Plus fort se pense et plus tôt je le frappe.
De me blâmer quelquefois tu n’as honte,
En te fiant en Mars, dont tu fais compte :
Mais maintenant, voy si pour persister
En le suivant me pourras résister.
Ainsi parlait, et tout eschauffé d’ire
Hors de sa trousse une sagette il tire.
Et décochant de son extrême force,
Droit la tira contre ma tendre escorce :
Faible harnois, pour bien couvrir le cœur,
Contre l’Archer qui toujours est vainqueur.
La bresche faite, entre Amour en la place,
Dont le repos premièrement il chasse :
Et de travail qui me donne sans cesse,
Boire, manger, et dormir ne me laisse.
Il ne me chaut de soleil ne d’ombrage :
Je n’ay qu’Amour et feu en mon courage…

Ainsi se confesse la Belle Cordière de Lyon dans ses Élégies qui sont des plaintes d’amour mélodieuses, des souvenirs encore cuisants mais toujours chers, un feu doux mal éteint sous la cendre. Car c’est le passé qu’elle chante, comme nous l’apprend le début de sa première Élégie :

Au temps qu’Amour, d’hommes et Dieux vainqueur,
Faisait brûler de sa flamme mon cœur,