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réflexions sur quelques poètes

En embrasant de sa cruelle rage
Mon sang, mes os, mon esprit et courage,
Encore lors, je n’avois la puissance
De lamenter ma peine et ma souffrance ;
Encor Phébus, ami des Lauriers verts,
N’avoit permis que je fisse des vers…

Maintenant la divine fureur d’Apollon remplit d’ardeur la poitrine de Louise Labé et la fait chanter sur la lyre même de Lesbos ses propres amours :

O dous archet, adoucis-moi la voix.
Qui pourroit fendre et aigrir quelquefois,
En récitant tant d’ennuis et douleurs,
Tant de despits, fortunes et malheurs.
Trempe l’ardeur, dont jadis mon cœur tendre
Fut en brûlant demi-réduit en cendre.
Je sens desjà un piteus souvenir.
Qui me contreint la larme à l’œil venir…

Elle croit éprouver de nouveau les tendres inquiétudes de jadis, elle revoit les armes dont Amour vint l’assaillir. Et elle se souvient aussi de sa propre cruauté, de ses dédains envers tous ceux qui n’avaient point su se garder d’une flèche partie de ses beaux yeux. Gomme elle se moquait de celui-ci qui brûlait d’amour et de l’autre qui se consumait ! Tant de larmes versées, tant de soupirs, tant de prières perdues la faisaient rire.