Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Mélanges de littérature et de critique.djvu/397

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égayé le moment le plus sévère et peut-être le plus grand de notre histoire. Il ne faut pas croire qu’il fût facile d’avoir, dans ce temps-là, tout bonnement de l’esprit. On s’adressait à un public distrait, le lendemain de Marengo ; et, de même que Molière disait que c’est une entreprise considérable de faire rire les honnêtes gens, ce n’était pas non plus une chose fort aisée de savoir plaire au maître du monde. M. Dupaty eut à la fois et ce bonheur et ce talent : se laissant aller sans réserve à son inspiration naturelle, se souciant à peine du succès qui ne lui a jamais manqué, toujours interprété par les meilleurs artistes, toujours heureux et toujours aimé, sa carrière théâtrale a duré environ quinze ans. Elle l’a presque exclusivement occupé de vingt-deux à trente-sept ans, et le consul, devenu empereur, allait écouter entre deux victoires ces opéras où chantaient Berton, Boïeldieu et Dalayrac.

Ici se présente, pour moi, une difficulté. On ne veut pas qu’ayant appartenu à ce qu’on appelait l’école romantique, j’aie le droit d’aimer ce qui est aimable, et l’on m’en fait une école opposée, décidant, par mes premiers pas, d’une route que je n’ai point suivie. Ce n’est pas que je veuille faire une inutile palinodie, ni renier mes anciens maîtres, qui sont encore mes amis ; car je ne me suis jamais brouillé qu’avec moi-même. Mais je proteste de toutes mes forces contre ces condamnations inexorables, contre ces jugements formulés d’avance, qui font expier à l’homme les fautes