Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, vol. II, 1836.djvu/105

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sans nom ? Étais-je bon ou étais-je méchant ? étais-je défiant ou étais-je fou ? Il ne faut pas y réfléchir, il faut aller ; cela était ainsi.

Nous avions pour voisine une jeune femme qui s’appelait madame Daniel ; elle ne manquait pas de beauté, encore moins de coquetterie ; elle était pauvre et voulait passer pour riche ; elle venait nous voir après dîner, et jouait toujours gros jeu contre nous, quoique ses pertes la missent mal à l’aise ; elle chantait et n’avait point de voix. Au fond de ce village ignoré, où sa mauvaise destinée la forçait à s’ensevelir, elle se sentait dévorée d’une soif inouïe de plaisir. Elle ne parlait que de Paris, où elle mettait les pieds deux ou trois jours par an ; elle prétendait suivre les modes ; ma chère Brigitte l’y aidait de son mieux, tout en souriant de pitié. Son mari était employé au cadastre ; il la menait, les jours de fête, au chef-lieu du département, et, affublée de