Page:Nau - Force ennemie.djvu/275

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mince nez bombé vise la bouche. L’affable valétudinaire mordille furieusement sa moustache effilée et répond aux effusions de mon frère par de légers grognements comme avertisseurs. La dame au mufle léonin que la nature a gratifiée d’une voix de basse tout à fait analogue à celle des grands fauves, rugit de temps à autre de courtes phrases qui me prouvent que Julien a cessé de plaire.

Cette femme évidemment énergique et ennemie de l’hypocrisie dédaigne de trop voiler ses allusions. Mon frère ayant encore insisté sur la surprise agréable qu’il vient d’éprouver, Mme Jagre ne se gêne aucunement pour lui couper la parole :

— Des surprises de ce genre réjouissent en effet ; mais il y en a qu’il est de mauvais goût de faire à ses connaissances.

Elle jette un coup d’œil de mon côté puis fixe le malheureux Julien qui est bien forcé de comprendre et rougit autant que je me sens pâlir. Il y a un peu de colère dans le regard qu’il adresse à la chère femme, mais sa bonne nature reprend immédiatement le dessus. Je suis sûr qu’il se dit : « Cette excellente Mme Jagre est si naturelle, si franche que l’on ne peut lui en vouloir : C’est une « originale », — mais peut-être ai-je eu tort d’amener Philippe.

Il ne veut pas quitter la femme de son ami sans avoir adouci son ressentiment. La connaissance lui garde rancune mais il va tâcher de se concilier la mère :