Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XVIII

CHŒUR DES GNOMES[1]

Les petits gnomes chantent ainsi :

« Profitons de son sommeil ! — Il a eu bien tort de régaler le saltimbanque, et d’absorber tant de bière de Mars en octobre, — à ce même café — de Mars, avec accompagnement de cigares, de cigarettes, de clarinette et de basson.

« Travaillons, frères, — jusqu’au point du jour, jusqu’au chant du coq, — jusqu’à l’heure où part la voiture de Dammartin, — et qu’il puisse entendre la sonnerie de la vieille cathédrale où repose l’aigle de meaux.

« Décidément, la femme mérinos lui travaille l’esprit, — non moins que la bière de Mars et les foulons du pont des Arches ; — cependant, les cornes de cette femme ne sont pas telles que l’avait dit le saltimbanque : notre Parisien est encore jeune… Il ne s’est pas assez méfié du boniment.

« Travaillons, frères, travaillons pendant qu’il dort. — Commençons par lui dévisser la tête, puis, à petits coups de marteau, — oui, de marteau, — nous descellerons les parois de ce crâne philosophique — et biscornu !

« Pourvu qu’il n’aille pas se loger dans une des cases de son cerveau — l’idée d’épouser la femme à la chevelure de mérinos ! Nettoyons d’abord le sinciput et l’occiput ; — que le sang circule plus clair à travers les centres nerveux qui s’épanouissent au-dessus des vertèbres.

« Le moi et le non-moi de Fichte se livrent un terrible combat dans cet esprit plein d’objectivité. — Si seulement il n’avait pas arrosé la bière de Mars — de quelques tournées de

  1. Ceci est un chapitre dans le goût allemand. Les gnomes sont de petits êtres appartenant à la classe des esprits de la terre, qui sont attachés au service de l’homme, ou du moins que leur sympathie conduit parfois à être utile (Voir les légendes recueillies par Simrock.)