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APPENDICE.

la chose en scène ; mais véritablement la décoration ne comporte ni trèfles, ni colonnettes, ni lambris de porcelaine, ni œufs d’autruche suspendus. Ce n’est qu’à Paris que l’on rencontre des cafés si orientaux. Imagine plutôt une humble boutique carrée, blanchie à la chaux, où pour toute arabesque se répète plusieurs fois l’image d’une pendule, posée au milieu d’une prairie, entre deux cyprès. Le reste de l’ornementation se compose de miroirs également peints et destinés à se renvoyer l’éclat d’un lustre en bâtons de palmier, chargé de flacons d’huile où nagent des veilleuses, d’ailleurs d’un assez bon effet. Des divans d’un bois assez dur, qui règnent autour de la pièce, sont bordés de cages en palmier servant de tabourets pour les pieds des fumeurs de tabac, ou des consommateurs de hatchich. C’est là que le fellah en blouse bleue, le Cophte au turban noir, le Bédouin au manteau rayé se livrent à des songes qui sans doute sont juste l’opposé des tiens. Ils rêvent peut-être une patrie sans palmiers et sans dromadaires, des fleuves dénués de crocodiles, un ciel de brouillard, des monts de neige, un paradis surtout dont Méhémet-Ali ne soit pas le dieu. Quant aux péris qui leur apparaissent réellement, au milieu de la poussière et de la fumée de tabac, elles me frappèrent au premier abord par l’éclat des calottes d’or qui surmontaient leur chevelure tressée. Leurs talons, qui frappaient le sol pendant que les bras levés en répétaient la rude secousse, faisaient résonner des clochettes et des anneaux ; les hanches frémissaient d’un mouvement qu’illustre chez nous la réprobation municipale ; la taille apparaissait sous la mousseline, dans l’intervalle de la veste et de la riche ceinture, relâchée comme le ceston de Vénus. À peine, au milieu du tournoiement rapide, pouvait-on distinguer les traits de ces séduisantes personnes, qui se démenaient vaillamment aux sons primitifs du tambourin et de la flûte. Il y en avait deux fort belles, à la mine fière, aux yeux arabes avivés par la teinture, aux joues pleines et délicates légèrement fardées ; la troisième… mais pourquoi ne pas le dire tout de suite ?… la troisième, péri subalterne, trahissait un sexe