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Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/100

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plus sa chute la dégrade ; plus celui qui t’aime est digne de ton amour, plus il te punirait de détruire son prestige ; et pourtant de bonne foi dans sa confiance en lui même, il tuerait quiconque oserait douter de son courage à braver le bonheur. Il faut donc le fuir, ma chère enfant ; ce vieux moyen est toujours le plus sûr. Un nouveau commandement va m’être confié, c’est encore un secret, je ferai une longue absence, le service de M. d’Egmont l’obligera à me suivre, tu ne peux rester à Paris sans danger. Promets-moi de passer à Richelieu tout le temps que durera la campagne ; j’ai fait nouvellement arranger le château ; tu y trouveras tout ce qui peut en rendre l’habitation charmante ; rien n’empêche que nos amis ne t’y suivent… je désirerais même…

— Ah ! ne l’exigez pas, mon père ; oui… je vous obéirai, je partirai dès demain, s’il le faut, pour Richelieu ; mais permettez que j’y vive dans la retraite.

— Mauvais moyen d’oublier ce qu’on fuit.

— L’oublier, lui, jamais, jo e promettrais en vain.

— N’importe, il suffit de ne le plus voir, de ne plus alimenter sa fièvre par l’espérance d’une contagion dangereuse ; si la retraite exalte les sentiments, elle sert aussi la réflexion ; et vous méditerez là sur les tristes vérités que je vous dé voile ; vous penserez que votre intérêt seul fait toute ma sévérité ; mais je ne me pardonnerais pas de vous laisser ignorer qu’en France, où le climat modéré laisse à la raison toute sa puissance, on aime assez les femmes qui cèdent, mais qu’on n’adore que celles qui résistent.

Il entrait dans les plans du maréchal de Richelieu que sa fille restât encore quelques semaines à Paris, pour faire les honneurs de plusieurs dîners qu’il devait donner au nouveau ministre de la guerre, le marquis de Paulmy, et aux maréchaux de France que le roi venait de nommer ; ils étaient au nombre de huit. Jamais tant de bâtons fleurdelisés ne s’étaient donnés en un jour ; c’étaient les marquis de Senneterre et de Maubourg ; les comtes de Lautrec, de Thomont et d’Estrées ; les ducs de Luxembourg, de Biron et de Mirepoix. M. de Richelieu était au fond très-indigné de voir