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Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/103

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LE COMTE DE B***.

On ne m’a pas demandé mon avis, vraiment. J’ai reçu hier soir un petit billet qui m’engageait à déjeuner, à midi, dans une maison où je vais souvent et avec plaisir. Nous avons besoin de vous, m’a-t-on dit ensuite, pour nous accompagner dans une visite. Je suis monté en voiture sans demander où l’on me conduisait ; on s’est arrêté dans une petite rue, à une petite porte fort sale ; nous avons monté un vilain escalier, et nous nous sommes trouvés dans une chambre éclairée par deux fenêtres dont les jalousies baissées laissaient faiblement pénétrer le jour ; le bruit d’une foule de voix qui bourdon naient sous ces fenêtres m’en fit approcher ; je reconnus qu’elles donnaient sur la place de Grève, et l’échafaud dressé ne me laissa plus aucun doute sur le spectacle qui m’atten dait. Je me récriai ; on me plaisanta sur ma sensibilité pour Damiens. La fausse honte de paraître avoir moins de courage que ces femmes, l’impossibilité de les abandonner dans un semblable lieu, m’a déterminé à prendre mon parti sur cette situation désagréable. Au bout du compte, c’est de l’histoiret me dis-je[1].

LE MARQUIS DE CONDORCET.

À part l’horreur, je voudrais bien savoir quelle impression un tel supplice produit sur la foule.

LE COMTE DE B***.

Le plus vif intérêt pour le condamné ; je vous assure qu’on oublie bien vite son crime en voyant sa fermeté à souffrir les

  1. On ne peut rendre l’affluence qu’il y avait dans Paris ce jour-là. Les villages circonvoisins, les habitants des provinces, les étrangers étaient accourus comme aux fêtes les plus brillantes. Non-seulement les croisées de la Grève, mais même les lucarnes des greniers furent louées à des prix fous. Les toits regorgeaient de spectateurs. Mais ce qui frappa surtout, ce fut l’ardeur des femmes, ri sensibles, si compatis santes, à rechercher ce spectacle d’horreur.
    (Vie privée de Louis XV, tom. III, p. 414