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Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/86

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pitié pour la faiblesse d’une femme ; mais on lui permettait de se laisser aimer.

On ne sauve l’importunité d’un amour non partagé qu’à force de sacrifices ; à défaut de plaire il faut se rendre utile, et paraître souvent s’intéresser au sentiment rival qui désespère. C’est ce que fit Gentil Bernard : initié par son observation continuelle dans les mystères du cœur de madame d’Egmont, il se consolait de n’être pour rien dans ses émotions, par le soin de lui en éviter de pénibles. Impuissant contre les événements qui devaient la désespérer, il tentait du moins de l’y préparer, et de l’empêcher surtout d’en être frappée devant témoins.

Gentil Bernard était à lire, comme à son ordinaire, la nouveauté du jour à madame d’Egmont, lorsque mademoiselle Hilaire, sa première femme de chambre, vint prendre les ordres de la comtesse. Celle-ci lui ayant répondu d’apprêter pour le soir une robe parée :

— Auriez-vous le projet de souper chez la duchesse de Luxembourg ? demanda le lecteur.

— Je ne puis m’en dispenser, répondit-elle, il y aura concert, bal. Le chevalier de Boufflers doit y lire les vers de M. de Voltaire sur la prise de Mahon. C’est une espèce de fête que la duchesse donne en l’honneur de mon père : on me blâmerait de n’y pas aller.

— Cependant, si la fièvre que vous avez rapportée derniè rement de Versailles vous reprenait, il faudrait bien renoncer…

— Sans doute, mais cette fièvre est dissipée, et je n’ai plus de prétexte.

— N’en est-ce donc pas un suffisant que d’être mal disposée pour de semblables plaisirs ? La chaleur, le bruit d’un salon où tout le monde parle à la fois, l’ennui de faire spectacle ; car partout où vous êtes, on ne regarde que vous, c’est à qui interprétera vos regards, votre maintien, votre sourire. Ah ! ce doit être une contrainte insupportable, et je vous admire, madame la comtesse, de vous y résigner de si bonne grâce.