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Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/87

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— Vous me flattez, mon ami, j’ai si peu l’art de cacher l’ennui que j’éprouve dans le monde, qu’on me reproche d’y porter un air distrait, dédaigneux même. Hélas ! ce qu’on prend pour le dédain n’est qu’une profonde tristesse.

-— Eh ! comment ne serait-on pas triste à la vue de tant de misères dorées, de politesses insolentes, d’ingratitudes avouées, de gracieuses perfidies, de malignités amères ? Comment se trouver à son aise au milieu de cette armée d’ennemis, pour qui le moindre de nos revers est un sujet de réjouissance, qui guette sur votre front la pâleur que fait naître un mauvais procédé, ou une triste nouvelle ? Ah ! le grand monde n’est amusant que pour ceux qui ont beaucoup d’esprit et point de cœur.

— Et pourtant, vous qui parlez de ce monde avec une vérité désolante, vous y passez la vie, l’on vous y traite à merveille.

— Parce que je me garde bien d’y montrer le peu que je vaux ; j’y porte une provision de flatteries, de petits sentiments rimés qui plaisent sans exciter l’envie ; si j’y laissais voir les profondeurs de mon âme, ma constance, mon dévouement pour ce que… j’honore le plus au monde ; s’il pouvait deviner le culte désintéressé dont je suis capable ; il me tuerait à coup de ridicules.

— Croyez qu’il est des amitiés qui vous vengeraient.

En disant ces mots, la comtesse leva ses beaux yeux sur Gentil Bernard, et lui sourit d’un air affectueux.

— N’allez pas à ce souper, dit-il d’un ton suppliant.

— Et pourquoi ?

— Je ne sais, mais vous me paraissez encore souffrante, et je crains…

— C’est-à-dire que vous me trouvez pâle, changée… laide, enfin.

— Laide ! vous, madame ? ah ! si par miracle vous le deveniez, je ne le verrais pas.

— Eh bien, dites-moi franchement ce qui vous fait tant insister pour que je n’aille pas chez la duchesse ; vous avez une raison ?…