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Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/98

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blesses ; mais la nature et l’éducation de ces femmes frivoles ont marqué leur destinée en les affranchissant de tout scrupule, comme de toute honte ; aussi les séduit-on sans peine et sans remords. Il n’en est pas de même d’une personne telle que vous, ma chère Septimanie, vous êtes d’un sang moins mêlé que celui de tant de nobles familles. Dans la vôtre, l’honneur des femmes compte pour quelque chose ; et le souvenir que votre mère a laissé est un de ces exemples qu’on doit être fière d’imiter. Mais c’est moins encore au nom de ce modèle de perfection que je vous parle, que d’après ma coupable expérience. Vous avez placé tout le charme de votre existence dans l’amour que vous inspirez au comte de Gisors !… Ne vous troublez pas ainsi, je n’ai pas l’intention de vous embarrasser, de vous forcer à m’articuler vos pensées les plus secrètes, je les sais mieux, que vous, car l’intérêt que je vous porte est plus vif et plus éclairé que votre intérêt personnel. Ma fille est mon orgueil, ma gloire, ma vertu. Il me semble qu’en récompense de cet ouvrage si parfait, j’obtiendrai du ciel et du monde le pardon de toutes mes folies de jeunesse. C’est pourquoi je voudrais ne pas la voir tomber du piédestal où je l’ai placée. Tu me pardonnes cette ambition… dit-il avec émotion en serrant tendrement la main de sa fille… Eh bien, prouve-moi que je n’ai pas trop présumé de ton courage, autrement je regretterais de t’avoir élevée dans les sentiments qui te distinguent des autres femmes, car je t’aurais vouée à l’humiliation et au malheur.

— Que dites-vous, s’écria madame d’Egmont, suis-je donc si coupable ?… et ma conduite donnerait-elle le droit de…

— Votre conduite est irréprochable, reprit le duc, mais toute la retenue de votre cœur, de vos manières, ne suffira plus bientôt pour contenir l’amour auquel vous répondez.

— Cet amour, est-ce à vous de m’en accuser ? n’est-ce pas sous vos yeux qu’il est né ? ne l’avez-vous pas encouragé ?

— Aussi n’ai-je pas l’intention de vous en faire un crime ; d’ailleurs, je vous le répète, c’est bien moins votre gloire qui m’inquiète que votre bonheur. Je vous connais, vous ne sauriez être heureuse de celui de madame de Pompadour ;