Page:Nietzsche - La Volonté de puissance, t. 1, 1903.djvu/139

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dans les extrêmes sentiments de puissance qui surprennent l’homme par leur caractère étrange ; et, semblable au malade qui sent d’étranges lourdeurs dans un de ses membres et en conclut qu’un autre homme est couché sur lui, le naïf homo religiosus se dissocie en plusieurs personnes. La religion est un cas d’" altération de la personnalité ", une espèce de sentiment de crainte et de terreur devant soi-même… Mais en même temps une extraordinaire sensation de bonheur et de supériorité… Chez les malades, l’impression de santé suffit à faire croire en Dieu, à une influence de Dieu. Les états de puissance inspirent à l’homme le sentiment qu’il est indépendant de la cause, qu’il est irresponsable : ils viennent sans qu’on les désire, donc nous n’en sommes pas les auteurs… La volonté non affranchie (c’est-à-dire la conscience d’un changement en nous, sans que nous l’ayons voulu) exige une volonté étrangère. L’homme n’a pas osé s’attribuer à lui-même tous les moments surprenants et forts de sa vie, il a imaginé que ces moments étaient " passifs ", qu’il les " subissait " et en était " subjugué "… La religion est un produit du doute au sujet de l’unité de l’individu… Dans la même proportion, où tout ce qui est grand et fort a été considéré par l’homme comme surhumain et étrange, l’homme s’est rapetissé, il a départagé les deux faces en deux sphères absolument différentes, l’une pitoyable et faible,