Page:Péguy - De la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne, 1906.djvu/29

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de sa mémoire, puisqu’il était malheureusement mort de sa personne avant le triomphe et avant la fête. C’était d’ailleurs plus sûr, car on pouvait lui faire, à sa mémoire, de ces apothéoses que, vivant, il n’eût peut-être pas laissé passer tout de même. On pouvait lui attribuer des propos et des sens que vivant il n’eût sans doute point laissé passer.

On pouvait lui dire, et lui faire dire, ce que l’on voulait. On était sûr, au moins, qu’il ne répondrait pas, ni ne protesterait.

Cette idée, particulièrement, était celle de ces imitateurs eux-mêmes, qui souvent — et très souvent en toute conscience, en toute sincérité, — s’autorisaient de son exemple, de cet illustre, de ce premier précédent : Je fais, disaient-ils naïvement, je fais la même chose que Renan. Ainsi parlaient ces pauvres enfants. Un prêtre s’aperçoit-il que sa foi se supprime avec la suppression du budget des cultes, du même geste et d’un seul mouvement, vite je fais la même chose que Renan. Il est ainsi devenu le patron de ceux qui ne veulent plus avoir de patrons. Saint Renan, — non pas l’ancien, le catholique, mais le nouveau, — saint Renan, priez pour nous : c’est une affaire entendue, et entendue pour l’éternité. Tant qu’il y aura une France, et un clergé français, toutes les fois qu’un clerc sortira du clergé, pour n’importe quelle raison, il y aura toujours un imbécile qui ouvrira la bouche et dira : Il fait la même chose que Renan.

Et pourtant il y a aujourd’hui deux raisons pour qu’ils ne fassent pas la même chose : la première, l’ancienne,