Page:Péguy - De la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne, 1906.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son propre deuxième commencement en lui-même avait reçu, avait conçu cette habitude indélébile de parler, de penser un certain langage de la vie spirituelle ; non pas seulement depuis Saint-Sulpice, depuis quelque petit séminaire breton, depuis quelque petite cure de village départemental, depuis son baptême et depuis quelque destination à l’état ecclésiastique, mais de beaucoup plus loin, depuis les parents barbares et les plus anciens ancêtres Cimmériens. Nul ne se détache entièrement de telles habitudes, ainsi entendues, ainsi reçues, ainsi conçues, aussi profondes, aussi organiques, aussi tenantes à la vie elle-même, nul, à moins de couper sa vie, cette même vie elle-même, les racines de sa pensée, de sa conscience, de toute sa vie, de toute son existence, de tout son être et de toute sa raison d’être, de sa personne et de ce qui est beaucoup plus profond que même la personne. En admettant même que cela soit possible, ce que nul ne croira. Renan ne tenait aucunement à s’en détacher entièrement ainsi. Ce serait une opération proprement monstrueuse ; et Renan avait assez de goût pour aimer le naturel en ce qu’il est tout ennemi d’une opération monstrueuse. Et puis enfin il pensait à lui-même, à son avenir, à son intérêt, à son utilisation, à ses progrès, à ses intérêts, à sa réussite. Il avait pour tout cela, pour lui-même Renan, une attention inquiète, une douce et bonne et molle pitié, une piété même, une pitié piété ecclésiastique aux joues molles et flasques et redoublées, une tendresse pieuse, une affection émue. Ça aurait fait du tort à Renan, et il n’avait point un tel goût de l’injustice qu’il eût consenti à faire du tort à Renan. Qui était un si bon homme, et si intéressant. Cette opération aussi fait mal,