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LE ROMAN DU COMTE DE TOULOUSE.

Dans cette histoire, on le voit, il n’y a pas trace d’amour : la générosité, le souci de la justice, le dévouement féodal sont les seuls mobiles qui fassent agir le héros. On ne comprend pas bien pourquoi il cache son nom en venant à la cour, et, l’ayant révélé à l’impératrice, exige qu’elle attende un certain temps pour le faire connaître. Aussi a-t-on conjecturé que le groupe catalan avait ici perdu un des éléments du récit originaire, élément conservé dans le poème anglais, qui représente, comme je l’ai dit, un poème français perdu, sensiblement plus ancien.

Là, en effet, le comte, au moment de l’aventure, est en guerre avec l’empereur, et dès lors sa conduite est naturelle : il craint, s’il est reconnu, d’être arrêté ; même après son exploit, il n’est pas sûr que la reconnaissance efface chez l’empereur l’ancienne inimitié, et il ne veut qu’on sache son nom que quand il se sera mis en sûreté. Il est donc probable que le poème anglais a conservé ici la version primitive.

D’ailleurs, en beaucoup d’autres traits, il se rapproche du groupe catalan et, par conséquent, de l’original. Il est seul avec ce groupe à donner à l’héroïne le titre d’impératrice, à faire parvenir fortuitement au comte la nouvelle du péril qu’elle court, à attribuer à deux barons ligués contre elle la calomnie dont elle est victime, et à faire accepter par le héros

    Guelfa (j’ai pu lire, grâce à mon ami A. Morel-Fatio, les bonnes feuilles de l’édition presque achevée par M. Rubió y Lluch). La duchesse d’Autriche, accusée d’adultère par deux chevaliers, sera brûlée si, à un jour fixé, elle ne trouve pas un champion qui, avec un compagnon, soutienne son droit. Elle fait chercher partout Jacob de Clèves, celui qu’on accuse d’être son complice et qui était parti pour le pèlerinage de Saint-Jacques ; on le trouve à Casal, et Curial, jeune écuyer catalan au service du marquis de Montferrat, s’offre à être son second. Le combat a lieu devant l’empereur ; les deux accusateurs sont vaincus, et l’un d’eux, qui est le véritable instigateur de la machination, avoue qu’il a calomnié la duchesse parce qu’il haïssait Jacob de Clèves (l. I, c. 13 et suiv.). Les circonstances, on le voit, ont été modifiées à dessein ; mais le fait qu’il y a deux accusateurs et que, si la femme calomniée n’est pas l’impératrice, la scène se passe à la cour de l’empereur, ne permet pas de douter que l’auteur de Curial y Guelfa ait eu pour modèle un récit apparenté aux autres récits de notre groupe catalan.