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LE ROMAN DU COMTE DE TOULOUSE.

C’est par de tels sentiments, à la fois exaltés et purs, que notre récit prend vraiment une place à part entre tant de récits analogues et mérite d’être regardé comme l’incarnation du plus noble idéal chevaleresque.

L’amour entre l’impératrice et le comte n’est pas le seul trait que le poème français inconnu ait ajouté au simple récit primitif. La calomnie contre l’impératrice, présentée dans celui-ci sous une forme vague, y est racontée avec des circonstances précises. Et d’abord le motif de la conduite des traîtres est différent : ils n’agissent plus « par haine et envie » ; chargés, pendant une absence de l’empereur, de la garde de leur souveraine, ils conçoivent pour elle une passion d’autant plus odieuse qu’ils se l’avouent l’un à l’autre et rêvent de l’assouvir tous deux, et c’est quand elle les a repoussés avec mépris qu’ils jurent de la perdre. À cet effet, ils réussissent à introduire dans sa chambre, pendant qu’elle dort, un jouvenceau qu’ils ont abusé ; puis ils font irruption avec de nombreux témoins, et, comme pris d’un transport d’indignation, mettent à mort le malheureux page avant qu’il ait pu parler. Au retour de l’empereur, ils lui racontent le prétendu crime de sa femme, qu’ils ont emprisonnée, et celui-ci croit à une évidence qui paraît manifeste.

Nous retrouvons les deux éléments dont se compose cet épisode dans des traditions qui ressemblent à la nôtre. Dans la légende si répandue que l’on désigne généralement par le nom de Crescentia nous voyons, comme ici, un personnage chargé, en l’absence de l’époux, de la garde de sa souveraine s’en éprendre, lui faire des propositions qu’elle repousse et s’en venger en l’accusant, quand il revient, auprès du trop crédule mari[1]. C’est là sans doute que le roman français a pris

    coupables avec sa femme, et lui avait déclaré qu’il ne le croirait innocent que s’il lui prouvait qu’il avait une « amie » ; Anténor, dans son embarras, ayant désigné la marquise, le roi avait exigé une preuve de leur intimité, et la marquise avait consenti, sous les yeux du roi (évidemment caché), à donner à Anténor un baiser, qui l’avait sauvé. C’est en retour de cette « courtoisie » qu’Anténor expose sa vie pour défendre la marquise.

  1. Sur les diverses variantes de cette légende d’origine orientale, voyez