Page:Peguy oeuvres completes 09.djvu/67

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devant eux. À trois on est forcé de parler. Mais à deux on peut causer. Et comme la tentation de la philosophie est la plus présente pour qui en a une fois pris le goût, ils parleront sans conviction de quelques bas événements temporaires, puis ils seront bien forcés de causer de philosophie.

Qu’ils soient ou qu’ils ne soient pas du même tempérament de pensée, cela n’a aucune importance. Evidemment il vaudrait mieux qu’ils fussent de tempéraments adversaires. lcte dialogue en serait peut-être plus poussé. Mais (en philosophie) on arrive à s’entendre même avec ses amis, et même avec ses alliés.

Voici nos deux hommes sortis de cette honorable boutique. Ni l’un ni l’autre ils n’ont part aux accroissements des puissances temporelles. Ni l’un ni l’autre ils n’ont part aux accroissements des puissances spirituelles. Ni l’un ni l’autre ils n’exercent aucunes magistratures. Ils ne sont que ce qu’ils sont. Ils ne valent que ce qu’ils valent. Ni l’un ni l’autre ils n’ont part aux accroissements des puissances intellectuelles. La Sorbonne leur a conféré une licence d’enseigner dont ils usent tant qu’ils peuvent. Peu. Mais ils ne s’y sont jamais fait faire docteurs.

Les voilà bien les hommes dans la rue. Une pente fatale leur fait descendre le boulevard Saint-Germain. De quoi parleraient-ils qui sùt plus pressant que le problème de l’être. L’un est le seul adversaire de Bergson qui sache de quoi on parle. L’autre est, après Bergson, et j’aurais presque dire avec Bergson, le seul bergsonien qui sache aussi de quoi on parle. Il a été l’élève et plus que l’élève de Bei-gazon à l’École Normale. ll a gardé pour Bergson une fidélité filiale.