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LE ROMAN DE LA ROSE

Malheureusement Male-Bouche s’en est aperçu ; il en parle à tout venant, amplifiant ce qu’il a vu, et fait tant que Jalousie, informée de ce qui se passe, accourt furieuse. Elle tance vertement Bel-Accueil et reproche à Honte sa somnolence. Honte cherche à couvrir Bel-Accueil, s’excuse elle-même de son mieux et promet d’être plus attentive à l’avenir. Malgré ces promesses, Jalousie décide d’entourer les roses d’un mur, dans l’enceinte duquel s’élèvera une tour où Bel-Accueil sera enfermé. À cette menace, Peur s’approche toute tremblante, mais n’ose rien dire à Jalousie. Celle-ci s’étant éloignée, Peur et Honte vont trouver Danger et lui font les plus vifs reproches sur le peu de soin qu’il met à garder les roses ; Danger, qui allait s’endormir, se lève, prend sa massue et jure que jamais personne n’en approchera plus (v. 3509-3806).

Cependant Jalousie fait construire autour des roses une enceinte absolument imprenable ; elle confie la garde des quatre portes à Danger, Honte, Peur et Male-Bouche. Au milieu se dresse une tour où Bel-Accueil est enfermé, sous la surveillance d’une vieille duègne, et la tour elle-même est gardée par les amis de Jalousie (v. 3807-3957).

Guillaume, éloigné de la rose, se livre à la douleur, et c’est une longue plainte qui termine le poème (v. 3958-4068).

Guillaume de Lorris a-t-il terminé son poème ? — Jean de Meun affirme que Guillaume de Lorris n’a pas achevé son poème parce qu’il en fut empêché par la mort, et son témoignage n’est pas contesté. Cette confiance est peut-être excessive. Nous ignorons sur quelle autorité s’appuie Jean de Meun quand il parle de la mort de Guillaume ; et rien ne prouve que sur ce point il ne s’est pas trompé ou ne nous a pas trompés. On est en droit de supposer que la première partie du Roman de la Rose, telle que nous la connaissons, se terminait originairement par une conclusion assez brève, dans laquelle l’auteur expliquait comment il avait cueilli la rose, ou pourquoi il ne l’avait pas obtenue, et enfin annonçait son réveil et l’interruption de son rêve. Jean de Meun, de bonne foi, a pu croire que le roman n’était pas achevé, soit parce que la fin lui en paraissait écourtée, soit parce que l’amant n’avait pas eu la rose. Il a pu encore, sachant le poème achevé, quel qu’en fût