Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
135
DEUXIEME PARTIE DU ROMAN DE LA ROSE

sions figurées, c’est par un préjugé né de l’accoutumance (v. 6933-7222).

Le développement de ce paradoxe nous fournit une preuve irrécusable que, contrairement à une opinion trop généralement répandue aujourd’hui, les femmes du xiiie siècle, non seulement dans les hautes classes mais aussi dans le menu peuple, s’offensaient autant que celles de nos jours de l’emploi des mots grossiers ou obscènes.

L’amant accepte la justification de Raison, mais il ne veut pas l’entendre sermonner davantage. Elle le quitte et il s’en va trouver Ami. Celui-ci ranime ses espérances : puisque Bel-Accueil lui a donné un baiser, rien ne pourra le tenir en prison. Mais il importe d’agir avec prudence. Il faut attendre, avant de faire aucune tentative autour du château où le prisonnier est enfermé, que toute méfiance ait disparu ; il faut surtout faire belle mine à Male-Bouche, qui est le plus à craindre ; il faut également servir les autres personnes préposées à la garde de Bel-Accueil. Et l’ami répète ici les conseils donnés par Ovide dans son Art d’aimer pour séduire les femmes (v. 7223-7914). Il y aurait bien un moyen efficace de s’emparer sans délai du château ; ce serait de suivre un chemin appelé Trop-Donner, construit par Folle-Largesse. Celui qui, accompagné de Richesse, prendrait cette voie, arriverait vite à l’intérieur de la forteresse, seulement Richesse l’y abandonnerait et c’est Pauvreté qui le ramènerait en arrière. Et l’auteur fait un sombre portrait de Pauvreté, plus terrible que la mort. Il faut éviter ce chemin funeste. Ce n’est pas qu’on ne doive rien donner :

Par dons sont pris et dieu et ome,

mais qu’on offre des fruits nouveaux, des fleurs, des choses peu coûteuses. C’est un conseil d’Ovide (v. 7915-8284).

Il ne suffit pas de gagner l’amour d’une femme, il faut une fois conquis le garder. C’est toujours Ovide qui en enseigne les moyens. Ici encore ce sont les dons, surtout les dons riches, qui ont le plus d’effet. Jadis il en était autrement. Cette réflexion amène une description de l’âge primitif de l’humanité, empruntée en partie à la première Métamorphose d’Ovide (v. 8285-8492).