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DEUXIEME PARTIE DU ROMAN DE LA ROSE

vent au niveau des idées qu’il exprime, tantôt énergique, tantôt gracieux, mais toujours clair, élégant et très imagé ; que sa versification est facile et que bon nombre de ses vers sont devenus proverbiaux.

À tant de qualités, il faut malheureusement opposer de graves défauts. Nous avons signalé déjà, et expliqué le manque de plan du poème. Jean de Meun a mérité un reproche plus sévère par l’immoralité de certaines parties de son œuvre. Les conseils que l’ami donne à l’amant sur l’art de tromper les femmes ; ceux de la Vieille à Bel-Accueil sur la manière de gruger les hommes sont d’une effronterie que rien ne surpasse, si ce n’est l’insolence des outrages que l’auteur déverse en toute occasion sur les femmes. Le plus souvent Jean de Meun voile l’indécence de sa pensée par des métaphores, mais ces métaphores sont généralement plus indécentes encore. En certain endroit même, non seulement il ne recule pas devant les mots les plus cyniques, mais il les recherche avec affectation. C’est une fanfaronnade. Il ne croit pas plus à la valeur du spirituel paradoxe par lequel il essaie de justifier ces expressions « baudes et folles » qu’il n’est convaincu de la perversité innée de la femme ; et pas plus dans un cas que dans l’autre il ne semble disposé à suivre les conseils qu’il se plaît à donner.

Un autre défaut, dont Jean de Meun connaissait les inconvénients, contre lequel il met en garde les autres, et qu’il a su moins que personne éviter, c’est la prolixité. Il a beau répéter que

Bon fait prolixité fouïr,

il s’attarde continuellement en des longueurs désespérantes, oubliant

Que maintes fois cil qui preesche,
Quant briefment ne se despeeche,
En fait les auditours aler,
Par trop prolixement parler.

Succès du Roman de la Rose. — Le Roman de la Rose eut un succès inouï ; aucun ouvrage du moyen âge ne fut aussi souvent copié ; le nombre des manuscrits qui nous en sont par-