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LE ROMAN DE LA ROSE

venus n’est guère inférieur à deux cents ; beaucoup sont écrits et ornés avec luxe. Détail piquant, ce poème, où la noblesse et la royauté sont si peu respectées, se trouvait, souvent à plusieurs exemplaires, dans la plupart des bibliothèques princières.

Son succès hors de France fut aussi très rapide ; on en connaît de la fin du xiiie siècle ou du xive une traduction assez abrégée en vers flamands d’Heinric van Aken ; une réduction en sonnets italiens, intitulée il Fiore, et une imitation, sans doute du même auteur, en vers rimant deux à deux, il Detto d’Amore ; deux traductions en vers anglais, dont une, en partie perdue, est de Chaucer et l’autre, également fragmentaire, est anonyme. Pétrarque, sans voir dans le Roman de la Rose un chef-d’œuvre, le considérait néanmoins comme le plus grand poème de la France et en envoyait un exemplaire à Gui de Gonzague, seigneur de Mantoue.

Aux xive et xve siècles, cette vogue ne cessa d’aller grandissant ; en même temps que les copistes multipliaient les manuscrits du roman, les plus fameux tapissiers en reproduisaient les principales scènes.

Les tapis n’estoient pas lais,
Ou de la Rose li Romans,
Pour lire aus amans clers et lais,
Estoit escript de dyamans[1].

Jacques Dourdin en 1386, Pierre Beaumetz en 1387, Nicolas Bataille en 1393 livrent au duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, de riches tapisseries « sur l’istoire du Roman de la Rose ». Des tapisseries flamandes du commencement du xvie siècle représentent encore différentes scènes du poème.

À peine inventée, l’imprimerie s’en empara, et jusqu’en 1538 elle en publia une quarantaine d’éditions.

Dès 1290, un certain Gui de Mori avait remanié le roman, supprimant de nombreux vers, en ajoutant d’autres, mais sa version n’eut pas la moindre notoriété. En 1503, Jean Molinet le mit en prose, en le « moralisant », en donnant à l’allégorie de la rose et à tout le poème un sens mystique et chrétien. Cette

  1. Dans le Débat du Cœur et de l’Œil, publié par Wright, Reliquiae antiquae, p. 315.