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LES FABLES ET LE ROMAN DU RENARD

mier ambassadeur dépêché vers Maupertuis. Renard le renvoie peu après à la cour le museau et les pattes ensanglantés : il lui a fait accroire qu’il trouverait du miel dans un chêne fendu, et dès que Brun y a eu fourré ses pattes et son museau, il a retiré les coins. Brun prisonnier et assailli par une nuée de paysans n’a échappé qu’en laissant une partie de sa peau. Le second ambassadeur, Tibert le Chat, n’est guère plus heureux. Renard le fait prendre à un lacet dans la maison d’un prêtre où, disait-il, il y avait abondance de souris. Enfin ce n’est que sur les instances de son cousin Grimbert que Renard se décide à comparaître à la cour. En route, il lui fait la confession de ses fautes, comme pour se préparer à la mort qui l’attend ; mais il n’est pas en peine de se disculper auprès du roi de sa longue absence. S’il a tant tardé à venir, lui dit-il, c’est qu’il a voyagé par toute l’Europe à la recherche d’un remède pour la maladie de son seigneur ; ce remède, il l’a trouvé : c’est la peau du loup fraîchement tué dont Noble devra s’envelopper, celle de Tibert dont il s’entourera les pieds, une courroie de la peau du cerf dont il se fera une ceinture. Noble suit ponctuellement cette ordonnance ; il est guéri, et Renard, vengé de ses accusateurs et de ses ennemis, triomphe à tout jamais.

Imaginons éparses ou formant quatre ou cinq petits poèmes indépendants ces histoires que l’Alsacien Henri le Glichezare a si heureusement groupées, joignons-y quelques épisodes, les uns recueillis par Nivard dans l’Isengrinus, les autres dont l’existence antérieure se laisse supposer par certaines allusions éparses dans les branches, nous aurons à peu près complète l’épopée primitive du goupil en France.

Elle était, on le voit, naïve et gaie, et les chanteurs qui la portaient de ville en ville avaient bien raison de l’appeler « une risée, un gabet, une bourde ». Ils en contaient les mille incidents pour l’unique plaisir de conter, pour s’amuser eux-mêmes et amuser les autres, et cela avec une absence de prétention littéraire et de vues morales qui donne à leurs récits une fraîcheur incomparable. Qu’ils aient voulu avant tout égayer leurs auditeurs, cela ne ressort pas uniquement de leur narration elle-même dont chaque vers respire une bonne humeur franche et gaillarde, et aussi de leurs avertissements au public