Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/544

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D’autre part, la phrase de l’ancien français est constituée beaucoup moins nettement que la nôtre. Ce qui donne à une proposition sa nature propre : un ne qui la fait négative, un qui, un que ou toute autre conjonction qui la fait relative ou conjonctive sont aujourd’hui nécessairement répétés devant chaque proposition, si plusieurs propositions de même nature se succèdent, et les cas sont rares et parfaitement déterminés où on peut s’abstenir de ces reprises nécessaires. Au contraire il est fréquent, en ancien français, que l’écrivain, après un seul ne, un seul qui exprimé, néglige les prépositions qui suivent. Il dira très bien : chascun l’ama et porta fei, au lieu de et lui porta foi. On lit dans le Ménestrel de Reims, § 20 : tant qu’il li dist que il la penroit volentiers à famme, se elle vouloit, et li rois ses freres si acordoit. On pourrait entendre : il lui dist qu’il la prendrait volontiers pour femme si elle voulait, et le roi son frère n’y mettait pas obstacle. Nullement ; la dernière proposition dépend encore de si et le sens est : et si le roi son frère s’y accordait.

Il y a plus : il arrive que des mots conjonctifs restent sousentendus et que la dépendance d’une proposition par rapport à une autre n’est marquée que par le mode ou n’est pas marquée du tout :

N’i ad paien nel prit et ne l’aürt[1] (RoL, 854, G.).

Il n’y a païen qui ne le prie et ne l’adore.

Et nous avons tel celier en parfont,
Estre i porra dusqu’a l’Ascention (Raoul de Camb., 7333).

« Et nous avons au fond un tel cellier qu’il y pourra rester jusqu’à l’Ascension. »

Dans d’autres cas, ce n’est plus le lien entre les propositions qui manque ; tout au contraire elles sont confondues, en ce sens qu’un mot exprimé dans la première seulement joue un rôle important dans la suivante, la domine même. Ainsi dans cette phrase de Joinville (Extraits, éd. Paris et Jeanroy, 155) :

  1. Prit et adort sont au subjonctif. Cf. Raoul de Camb., 1271. Je commandai el mostier fust mes trez tendus laiens : je commandai que dans le moustier ma tente fût tendue. Cf. 7326 : Se je faisoie envers lui desraison, ne me garroit trestot l’or de cel mont, ne me copast le chief soz le menton. Partout il faut suppléer que devant les subjonctifs.