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SUR VILLE-HARDOUIN

Ce vieillard, pour lequel ils montroient tant de vénération et d’amour, ce doge, qui, par un sublime exemple, les avoit entraînés à prendre la croix, s’étoit trouvé, il y avoit plusieurs années, l’une des victimes de la perfidie de Manuel Comnène. Arrêté à Constantinople sous de frivoles prétextes, et quoiqu’il fût revêtu du caractère sacré d’ambassadeur, l’Empereur avoit ordonné qu’on lui brulât les yeux ; et c’étoit à l’humanité de ses bourreaux qu’il devoit de n’être pas entièrement aveugle : il arrivoit quelquefois en effet que les hommes chargés de ces exécutions, en ne donnant pas à l’instrument du supplice le degré nécessaire de chaleur, laissoient par pitié quelques rayons de lumière aux organes qu’ils étoient chargés de détruire. Le doge étoit trop magnanime pour considérer dans une entreprise qui intéressoit son pays et la religion, la triste satisfaction d’obtenir une vengeance tardive ; mais ses compatriotes, qui, chaque fois qu’ils regardoient son front vénérable, se rappeloient avec indignation la perfide cruauté des Grecs, brûloient de punir l’outrage fait à leur chef ; ils se souvenoient en outre que, par les ordres du même Empereur, leurs vaisseaux avoient été saisis et pillés dans le port de Constantinople, et que ses successeurs avoient constamment favorisé les Pisans et les Génois, implacables ennemis de Venise. Ce dernier motif eut seul quelque influence sur la détermination du doge.

Les ambassadeurs du prince grec firent encore remarquer aux Croisés avec quelle facilité ils pourroient rétablir Isaac sur le trône. L’usurpateur, plongé dans la mollesse, n’avoit rien conservé de l’audace par