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NOTICE

auxquels doivent être appliquées les méthodes de l’initiation : résultat qu’a toujours ignoré l’éloquence des plus brillants orateurs (215 b-d, e sq., 216 c fin ; cf. 218 ab). Voilà le sortilège de l’amour, le coup de foudre qui le fait surgir dans une âme (206 de). Si l’attachement qui le porte vers les jeunes gens est celui qu’il faut (cf. 211 b et p. xci), s’il est conduit par un bon guide, il a, en outre, l’effet d’une incantation telle que, au lieu de créer des illusions et des prestiges, elle les exorcise au contraire (cf. p. lxxx, n. 3) : c’est ainsi que, savante dans les choses d’amour, la prophétesse Diotime a su quels exorcismes écarteront d’Athènes le fléau qui la menace. Elle a initié Socrate à ce progrès réglé qui, par étapes, mène l’amour jusqu’à son terme surnaturel, la Beauté intelligible ; à son tour, Socrate saura exorciser la « tentation », à l’épreuve de laquelle, progressivement encore, il est soumis par l’attrait de la beauté sensible, incarnée dans la personne d’Alcibiade (cf. p. 81, n. 1).

La conception de l’amour doit enfin trouver son application pratique dans la conduite même de Socrate et dans son attitude. Or, dans celle-ci, il y a une ambiguïté que le discours d’Alcibiade atteste de la façon la moins détournée et la plus piquante : elle constitue pour lui, comme pour ses pareils, une énigme insoluble. Socrate est en effet, à l’égard des jeunes hommes et d’Alcibiade en particulier, un inlassable poursuivant (213 b-d, 214 de, 216 d déb., 217 b, 218 cd ; cf. 194 d) ; mais il est, d’autre part, indifférent à leur beauté (216 de, 219 cd, e), et c’est lui, au contraire, dont la mystérieuse beauté les attire : ainsi il se trouve être véritablement le bien-aimé dont ils sont, eux, les poursuivants (222 c ; cf. 213 e déb., 217 c, e, 222 ab[1]). Une telle ambiguïté s’explique pourtant, si l’on se reporte au double aspect que j’ai distingué dans l’amour (cf. p. xcvi sqq.) : en Socrate se retrouve la même dualité. Sous un de ses aspects, il est l’être fécond selon l’âme, qui continuellement et d’une aspiration inépuisable (cf. 210 d) tend à féconder d’autres âmes par sa pensée et par son exemple. Mais, sous un autre aspect, il est l’aimable, c’est-à-dire la beauté spirituelle vers laquelle, confusément et d’un élan que sans cesse brise la

  1. Dans certains passages, comme 219 b, 223 a, cette indécision est particulièrement sensible ; voir p. 74, n. 4, p. 81, n. 2, p. 90, n. 2.