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LE BANQUET

ou pour celle des Gorgones (4, 34), ou enfin pour l’exorde même de Xénophon. Ce n’est pas seulement, y lit-on, dans les choses sérieuses que la conduite des hommes de valeur mérite qu’on en garde mémoire, c’est aussi dans leurs amusements. Or une phrase similaire se trouve (178 a) dans le Banquet de Platon, avec une application différente. Si la priorité appartient à Xénophon, on dira que la phrase dont il s’agit exprime bien l’idée qu’il s’est faite de Socrate ; si la priorité appartient au contraire à Platon, on pensera que ledit Xénophon, ayant jugé trop sérieuse l’œuvre de son devancier, a voulu, dans le même cadre légèrement modifié, introduire un badinage de sa façon qui fût, lui aussi, une « composition socratique ». L’une et l’autre hypothèse sont défendables.

De toute manière on retombe sur le problème de l’interprétation à donner aux Mémorables. Faut-il y chercher le reflet fidèle, sur le miroir d’une pensée peu pénétrante, de ce que fut réellement Socrate ? Ou doit-on les considérer comme une libre composition qui reflète avant tout, sous le nom de Socrate, les idées et les préoccupations de son auteur ? Dans la deuxième hypothèse, tout ce qu’on y rencontre de vues philosophiques, et qui détonnent sur un fond de plate médiocrité, serait constitué par des emprunts aux dialogues de Platon. Dans la première, ce seraient des formules authentiquement socratiques, dont Xénophon, en les reproduisant, n’a pas vu clairement les dessous, tandis que le génie de Platon, en approfondissant ces mêmes formules, est porté à les enrichir ou à les transposer. Une chose du moins est certaine, c’est que le Socrate de Xénophon, que ce soit celui du Banquet ou bien celui des Mémorables, est sans doute un brave homme, mais un esprit mesquin et un railleur épais. Sa prodigieuse action sur ses contemporains s’expliquerait donc difficilement, et on comprendrait mal qu’elle eût pu sembler dangereuse à certains d’entre eux, comme Aristophane ou comme ceux qui furent plus directement les artisans de sa perte[1].

Ainsi, la critique interne semble ne pouvoir conduire à aucun

  1. Pour tout ceci et pour la suite, voir mon article de l’Année philosophique XXI, 1910, p. 1-47 : Les « Mémorables » de Xénophon et notre connaissance de la philosophie de Socrate.