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LE BANQUET

remplacer une victoire au pancrace par une victoire théâtrale, à faire dire par Phèdre ce que l’autre attribuait à Pausanias, etc. Cela supposerait une incroyable pauvreté d’invention dramatique. Il n’est pas moins incroyable que Platon ait senti le besoin d’emprunter, en les démarquant avec une maladroite gaucherie, tels motifs, tels exemples, telles images ou telles expressions : ainsi, pour se borner à ce qui a été déjà signalé, de changer une morsure de bête féroce (le désir) sur l’épaule nue qu’a touchée l’épaule pareillement nue du bien-aimé (4, 28), en une morsure de vipère (les discours de la philosophie) au cœur ou à l’âme (218 a) ; de rapporter à l’éloquence gorgianesque d’Agathon l’action pétrifiante et gorgonique (198 c), que l’autre attribuait à la beauté de Clinias (4, 24). Enfin, si l’idée de Socrate faiseur de mariages et l’idée de la maïeutique sont, comme je le crois, proprement platoniciennes et non socratiques (cf. p. lxxxiv sq.), si elles constituent la fiction propre du Théétète, il faudrait admettre que ce beau dialogue, et non pas seulement le Banquet, dérive du pauvre Banquet de Xénophon. Si ces raisons paraissent avoir quelque poids, au moins certaines d’entre elles, la première phrase de ce Banquet ne comporte plus qu’un seul sens : l’auteur a voulu refaire dans un autre esprit ce que Platon avait fait avant lui. Sans doute son œuvre est un peu moins ridicule que celle du saint évêque Méthodius (cf. p. xiii n. 3), mais elle procède pourtant d’une semblable conception du pastiche. Mes préférences personnelles vont donc à la thèse d’après laquelle le Banquet de Platon serait antérieur.

Il y a toutefois dans la thèse en question des difficultés qui ne doivent pas être dissimulées. Tout d’abord, les passages du Protagoras, qui ont servi, au début de cette notice (p. xv sq.), à se représenter ce qu’on faisait, en plus du boire, dans un symposion, se rapportent au Banquet de Xénophon en telle sorte qu’ils en paraissent être une satire, et qu’il est invraisemblable qu’ils aient pu en être l’inspiration. En outre, on admet généralement, ce que j’ai fait, que les répercussions prolongées de l’écrit de Polycrate ont déterminé Platon à introduire dans son dialogue le personnage d’Alcibiade ; on admet d’autre part que Xénophon a écrit, ou tout au moins remanié, ses Mémorables en tenant compte de cet écrit ; puisqu’au contraire son Banquet semble ignorer totalement l’objet du débat, ne doit-on pas en inférer, comme je l’indiquais