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NOTICE

vouée leur réunion de buveurs. Voudra-t-on soutenir que cette théorie existait historiquement, professée par Aristophane ou par quelqu’autre ? Ce n’est pas improbable (cf. p. xxxiv). Mais, la preuve en serait-elle découverte, il transparaîtrait encore que ce n’est pas une Diotime ni même le Socrate historiques, qui à cette théorie en opposent une autre, mais bien le seul Platon. Aucun lecteur du temps, familier avec le postulat fondamental du mime socratique, ne pouvait du reste être dupe de cette feinte. Autrement, s’expliquerait-on la protestation d’Aristophane (212 c), que Socrate a voulu le viser en parlant de certaine doctrine[1] ? Pourquoi n’est-ce pas à Diotime qu’il rapporte l’allusion dont il s’agit ? Mais, avec cet art subtil qui est le sien, Platon se contente de cette rapide suggestion, et il coupe court par le grand vacarme que mènent à la porte de la maison Alcibiade et ses compagnons.

Le Banquet, libre composition.

Le cas de Diotime est un cas privilégié ; il méritait donc un examen un peu approfondi. On y voit clairement à quel point Platon se sent libre de manier à sa guise le thème dramatique qu’il a choisi, d’introduire dans une trame bien nouée une ironique fantaisie, de mêler de brèves invraisemblances à une vraisemblance continue. Ce qui avant tout lui importe, c’est, tout en réservant les droits de son humour attique, de respecter la vérité de sa fiction, de conserver à ses personnages une individualité cohérente. Et pour nous, c’est aussi ce qui nous importe le plus, car c’est précisément là ce qui nous donne l’illusion d’être en face d’une réalité historique, illusion fortifiée par la magie évocatrice de quelques noms familiers : Alcibiade, Aristophane, Socrate. Mais y a-t-il eu réellement un banquet offert par Agathon à des amis deux jours après sa première tragédie et sa première victoire ? Les convives étaient-ils ceux que réunit Platon ? Questions sans intérêt, semble-t-il : ce qui nous intéresse, c’est la façon dont Platon a mis en œuvre son sujet dans le cadre, historique ou non, qui lui a paru le meilleur et avec les personnages qu’il a voulu y mettre[2]. Ce cadre était histo-

  1. Soit qu’on adopte, à 212 c 6, la correction περί του λόγου, correspondant au τις λόγος de 205 de, ou que l’on garde περὶ τοῦ λόγου, au sujet de son discours, le résultat est le même.
  2. Par exemple Agathon et Aristophane, pour représenter l’opposition de la tragédie à la comédie ; cf. Notice, p. vii sq.