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LE BANQUET

le fruit de la longue méditation qui a précédé son entrée dans la maison. La réponse de Socrate exprime une idée qui lui est familière, celle de son « inscience », idée qui est à la racine de l’ironie, c’est-à-dire de l’ignorance feinte (cf. 216 de et p. 80, n. 1 ; Notice p. cv)[1]. Les talents d’Agathon sont au contraire éclatants et incontestables. Ce dernier n’a point de doute sur la raillerie enveloppée dans ce compliment, il n’en a pas non plus sur l’éminente valeur de la sagesse de Socrate, mais il en a bien moins encore sur ce qu’il vaut lui-même. Voilà donc, engagée, une compétition de sagesse. Le tour plaisant qu’Agathon donne ensuite à sa pensée, en ajoutant qu’en ce concours le vainqueur sera celui qui boira le plus et le mieux (cf. p. 7, n. 1), ne doit pas nous cacher le sens vrai de cette compétition : elle rétablira l’ordre des valeurs que l’ironie avait renversé ; elle opposera à un savoir de rêve, dont la rhétorique et l’enseignement des Sophistes sont la base, le savoir fondé sur la philosophie. Or c’est là-dessus que paraît porter le dialogue de Socrate avec Agathon, avant le discours de celui-ci (cf. p. lxiv et p. xcv). Et la même idée est encore indirectement rappelée dans la seconde discussion avec Agathon, celle qui ouvre la deuxième partie du dialogue : Agathon ne savait pas ce qu’il disait ; cela ne l’a pas empêché de très bien parler (201 bc, cf. e) ! C’est sur cette idée de comparaison entre les deux sortes de savoir, celui qui n’est que de parole et celui qui est de pensée, que repose l’antithèse des deux premières parties du Banquet.

Qu’est-ce qu’un éloge ?

Le prologue détermine en outre l’objet à propos duquel vont s’affronter ces deux conceptions du savoir. Ce sera l’éloge de l’Amour : prononcer à tour de rôle un discours qui soit une louange de ce dieu, voilà quelle occupation est

    naturelle. Platon m’a semblé avoir voulu, d’une façon d’ailleurs inusitée, renforcer l’idée exprimée par le pronom réciproque : l’un avec l’autre ; pour cette raison, il a donné au pronom personnel une valeur exceptionnelle, en le plaçant dans la phrase devant la conjonction, que j’ai traduite par pourvu que.

  1. Un rêve de sagesse par opposition à la réalité de sagesse que possède Agathon. Très souvent cette opposition se présente chez Platon sous la forme ὄναρ ὕπαρ, la vision du rêve en face de celle de la veille. Cf. par exemple Rép. V 476 cd, Phèdre 277 e, Polit. 277 d.