Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 2 (éd. Robin).djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
xxxi
NOTICE

proposée aux convives pour remplir les heures qu’ils passeront à boire. Aucun de ceux qui sont là ne repoussera la proposition (176 e-177 e)[1]. Deux mots grecs expriment cette idée de l’éloge : épaïnos et encômion. Dans le Banquet les deux termes sont parfois employés indifféremment, mais le second semble avoir été réservé par l’usage à ce dont il s’agit en l’espèce, à l’acte d’honorer une divinité (cf. 177 c fin), et de fait il prédomine ici. Si le mot panégyrique n’avait en grec le sens précis d’un éloge solennellement prononcé devant une grande assemblée, la signification qu’il a fini par prendre en français conviendrait assez bien. Mais peut-on, pour rendre un mot grec dont le sens est bien déterminé, en employer un autre que sa forme décalquée a détourné du sens primitif ? Or, ce qu’on entendait par un encômion, c’était d’abord un chant exécuté dans un banquet. Le sens d’éloge est un sens secondaire ; le mot a gardé cependant une partie de sa

  1. Pour les deux auteurs, médiat (Phèdre) et immédiat (Éryximaque), de la proposition, le motif de leur assentiment est évident. Pour Socrate, l’Amour, on le sait, est la seule chose qu’il connaisse (cf. p. xxvi). En ce qui concerne Pausanias et Agathon, l’amour du premier pour le second avait peut-être servi de cible aux plaisanteries des comiques (cf. 193 b fin) ; en tout cas, dans le Protagoras (315 de) nous les voyons côte à côte autour du lit du Sophiste Prodicus de Céos (cf. ici 177 b) : Agathon est tout jeune, très beau, et Socrate conjecture qu’il est l’aimé de Pausanias (voir aussi Xénophon, Banq. 8, 32). Quant à Aristophane, ses motifs sont plus obscurs : il est, dit Socrate, tout occupé de Dionysos et d’Aphrodite. Certes on comprend fort bien que ne penser qu’à Aphrodite puisse faire prendre plaisir à entendre parler de l’amour ou à en parler soi-même, et d’autre part la place que tiennent le penchant sexuel et l’obscénité dans la comédie aristophanesque manifestent en lui un aphrodisien. En revanche, si l’on voit clairement qu’il est dionysien en tant qu’il participe aux concours théâtraux des Dionysies, on comprend mal quelle influence cela peut avoir sur l’intérêt qu’il prendra à l’éloge de l’amour. Est-ce parce que Dionysos est aussi le dieu du vin et que le vin porte à l’amour ? « Le vin, lit-on dans un fragm. attribué à Aristophane (fr. incert. n. 490 Dindorf), est le lait d’Aphrodite ». Doit-on plutôt chercher ici la trace d’une tradition théogonique, pauvrement attestée, d’après laquelle Dionysos serait un fils d’Aphrodite ? De toute façon l’intention de Platon, cachée sous toute cette mythologie, peut difficilement s’interpréter autrement que comme désobligeante à l’égard d’Aristophane. En termes moins galants, cela veut dire : « grand buveur et grand ribaud ».