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LE BANQUET

signification première : c’est un hommage[1], une célébration de louanges, à l’occasion d’un banquet ; il convient donc parfaitement ici, sauf que l’hommage y est un discours, au lieu d’être un chant. Or un passage de la Rhétorique d’Aristote (I 9, 1367 b, 28-36) montre précisément que du domaine du lyrisme l’encômion était passé dans celui de la rhétorique ; bien plus, qu’il y avait acquis un sens précis, par lequel il se distinguait de l’épaïnos : dans celui-ci on se contente en effet de louer la nature de ce dont il s’agit, ses dispositions, sa manière d’être (ἕξις), même si aucun acte (ἔργον) n’a jusque-là manifesté au dehors ces qualités intérieures ; l’autre consisterait à célébrer de tels actes, accomplis en fait, comme la manifestation de ce qu’est la nature du sujet loué, et en les rattachant à cette nature. N’est-ce pas exactement ce que déclare vouloir faire Agathon, l’élève de Gorgias ? Ceux qui ont parlé avant lui se sont en effet contentés, dit-il, de célébrer les bienfaits de l’Amour, autrement dit les manifestations extérieures de sa nature ; ils ont négligé leur liaison avec cette nature elle-même (194 e sq., 197 c). Peu importe que le reproche puisse paraître mal fondé en ce qui touche aux discours d’Éryximaque et surtout d’Aristophane ; il n’en est pas moins fort intéressant, comme témoignage d’une conception rhétorique de l’encômion dans l’école de Gorgias peut-être[2], et comme anticipation de la distinction exposée par Aristote. On doit enfin remarquer que la division indiquée par Agathon n’est pas rejetée par Socrate : celui-ci l’approuve au contraire, au moins extérieurement (cf. p. lxxiii), et il s’y conforme dans l’exposé de la pseudo-Diotime (201 de, 204 cd). C’est que tout effort pour analyser les choses et, par conséquent, pour en éclaircir la notion

  1. Les scolies dont il a été question plus haut (p. xv sq.) étaient quelque chose de moins solennel, de simples couplets. On nous parle aussi (177 a) de deux autres variétés du chant d’hommage qui, à la différence de l’encômion primitif, ne sont pas d’usage dans les banquets : les Hymnes à la gloire des dieux ou des héros, et qu’on chantait immobile en s’accompagnant de la cithare (cf. 197 e, où ἐφυμνοῦντα 4 n’est pas pris cependant à la rigueur, et 187 e : la Muse Polymnie d’Éryximaque), et les Péans qui primitivement devaient glorifier le seul Apollon et qui se chantaient à plusieurs voix.
  2. L’Hommage aux Éléens, de Gorgias, son Éloge d’Hélène sont l’un et l’autre désignés comme étant un encômion.