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LE BANQUET

d’exceptionnel chez Platon, et les différences de style, qui se constatent entre les cinq premiers discours, prouvent assez qu’il s’y est amusé dans le Banquet. En chacun d’eux pourtant il y a, on le verra, quelque chose de plus : un point de vue sur la question et l’exposé d’une doctrine. Difficilement on croira que ces points de vue et doctrines distincts aient été inventés par Platon pour servir d’antithèses à sa propre conception : quelques-uns peut-être, mais non tous. Or, en fait, si incomplète que soit notre information, elle nous révèle en effet l’existence d’écrits sur l’Amour, dont quelques-uns sont, certainement ou probablement, antérieurs au Banquet. On cite un livre de Critias, le brillant élève des Sophistes, intitulé De la nature ou des vertus de l’Amour[1]. L’existence d’un écrit de Lysias sur l’Amour semble attestée par le pastiche, ou la reproduction, qu’on en trouve au début du Phèdre, et vraisemblablement cet Érôticos est plus ancien que notre dialogue[2]. Le Banquet de Xénophon (8, 32) paraît faire allusion à une Apologie de l’Amour par Pausanias, dans laquelle celui-ci aurait exalté les prodiges de valeur dont serait capable une armée faite d’amants et de leurs aimés ; or, dans Platon, ce n’est pas Pausanias qui dit cela, c’est Phèdre (178 e) ; il faudrait donc, semble-t-il, supposer une source unique, mais que Platon aurait en quelque sorte détournée, tandis que Xénophon l’aurait nommément désignée[3]. Peut-être y aurait-il lieu de tenir compte aussi de ce qu’a pu produire en ce genre la littérature socratique, abstraction faite de l’écrit de Xénophon. Mais l’incertitude

  1. Galien Lex. Hippocrat. XIX, 94 Kühn ; cf. Diels Vorsokratiker, ch. 81, B 42. — J’adopte pour le titre la correction ἤ ἀρετῶν, au lieu de ἤ ἐρώτων ; le sens serait alors : De la nature de l’Amour ou des amours, ce qui pourrait faire penser à quelque distinction entre plusieurs amours, analogue à celle qu’on trouve dans le discours de Pausanias ou dans celui d’Éryximaque.
  2. L. Parmentier situe vers 410 la scène de Phèdre. Mais rien ne dit que l’Érôticos ne soit pas postérieur : il peut y avoir anachronisme.
  3. La question serait par conséquent entièrement indépendante de celle de savoir si le Banquet de Xénophon a précédé ou non celui de Platon. Le fait qu’Athénée (V 216 ef) parle d’un Érôticos de Pausanias ne prouve rien : visiblement c’est de sa part une inférence fondée sur le Banquet de Xénophon et sur celui de Platon.