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LE BANQUET

duisant une distinction à laquelle s’applique un principe général d’appréciation morale.

Or l’opinion de Pausanias est que, pour un homme, la modalité juste et correcte de l’amour n’est pas d’en user n’importe comment, mais d’une façon réfléchie et en ayant conscience de la fin à laquelle doit tendre l’amour. Ceux qui en usent de cette façon aiment l’âme plus que le corps. C’est pourquoi ils dédaignent les femmes et n’aiment, parmi les jeunes garçons, que ceux dont l’intelligence promet et est déjà assez développée ; leur dessein est de former avec celui qu’ils ont choisi une sorte de mariage qui durera autant que la vie. Leur amour s’assujettit de lui-même à cette règle, tandis qu’il y faudrait contraindre les autres, ces amants populaires dont le dérèglement, en déshonorant l’amour masculin, a attiré sur lui la réprobation (181 a-182 a). — Une telle conception de l’amour, présentée sans la moindre gêne et défendue avec chaleur, nous met en face d’un problème social particulièrement délicat, celui des relations amoureuses entre hommes et de l’assentiment, plus ou moins complet, que rencontrait cette coutume dans la conscience morale commune. Les causes en ont été plus d’une fois analysées : situation inférieure de la femme, d’où dépréciation de l’amour normal qui semblait dépourvu de valeur spirituelle ; parfois peut-être insuffisance numérique des femmes, mais sûrement la vie collective fermée des hommes dans les camps ou à l’armée, surtout chez des peuples guerriers comme étaient les Doriens, qui sont les instaurateurs probables de ces mœurs en Grèce ; les exercices de la palestre et du gymnase (cf. ici 217 bc) qui réunissaient des jeunes hommes d’âge différent et qui, principalement quand se fut généralisée l’habitude de s’exercer sans vêtement, les rendaient plus sensibles encore à l’attrait de la beauté masculine ; l’exaltation enfin de cette beauté par les œuvres de la statuaire. Cette perversion, le fait n’est pas douteux, a été condamnée par la conscience commune en certaines parties de la Grèce ou à certaines époques : le Banquet l’atteste par la voix de son Aristophane (192 a), à laquelle fait écho l’Aristophane de la comédie, et même par celle de Pausanias (ici et 183 cd). On est toutefois en droit de se demander si ce qu’on condamnait, ce n’était pas beaucoup moins cette perversion, que sa présence chez des ennemis politiques ou