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LE BANQUET

instable réconciliation (186 b-e). — Ainsi, en résumé, à une seule et même loi d’amour se rattachent des effets opposés, le normal et l’anormal, d’abord selon que l’amour subsiste ou s’abolit, ensuite selon que sa loi est bien ou mal appliquée.

Après avoir indiqué qu’on en pourrait dire autant de la culture physique ou du travail des champs[1], Éryximaque montre comment la musique illustre et vérifie sa conception. À ce propos il reproche à Héraclite d’avoir fait consister l’unité de l’harmonie (ou de l’accord) dans la dualité même de l’opposition entre l’aigu et le grave, au lieu de l’avoir fait résulter de la succession de l’unité à la dualité[2]. Il faut, dit-il, que l’amour ait mis fin à l’opposition du grave avec l’aigu, du rapide avec le lent, pour que naissent l’accord musical et le rythme du chant ou de la danse. Or un accord, un rythme déterminés sont ce qu’ils sont dès qu’ils sont constitués, et jusqu’à ce qu’ils soient défaits par une dissonance ou par une faute de mesure. Ils ne comportent donc, on le comprend fort bien, qu’une seule espèce d’amour[3], celui-là même qui crée chacun d’eux et qui, par la conciliation particulière qu’il a établie entre les opposés, est aussi la norme profonde de chacun. Par contre, la nécessité s’impose de distinguer le bon et le mauvais Amour, aussitôt qu’il s’agit de combiner les accords ou les rythmes de façon à en faire une œuvre poétique ou musicale, destinée à être déclamée, chantée, dansée devant un public, ou à être étudiée dans les écoles.

  1. Cf. le passage du Théétète cité plus haut, p. liii n. 1.
  2. N’est-ce qu’une chicane de mots de la part de ce demi-sophiste ? Ce qu’il reproche à Héraclite, c’est pourtant, remarquons-le, ce qu’a noté, d’un trait incisif, Platon lui-même dans le Sophiste (242 de) : les Muses d’Ionie, dit-il, celles dont la voix est plus « soutenue », veulent que l’Être soit simultanément un et plusieurs, aussi bien uni par la Discorde que par l’Amitié ; et la même formule, que nous trouvons ici, sur la composition de ce qui s’oppose y est citée, avec seulement un peu plus de liberté. Aux Muses d’Ionie s’opposent, on le sait, les Muses siciliennes, qui font se succéder alternativement la Discorde et l’Amitié, c’est-à-dire Empédocle.
  3. Le changement par Badham (suivi par plusieurs autres éditeurs) de πως en πω (187 c 8) est séduisant. Mais il me semble inutile : malgré certaines apparences, il s’agit ici moins de deux actes successifs, que de deux domaines distincts. On peut donc garder le texte des manuscrits (cf. p. 26, n. 2).