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NOTICE


Aristophane
(189 a-193 d).

Jusqu’à présent, nous étions en présence de figures qui ne vivent pour nous que par les discours que Platon leur prête et dont ils caractérisent d’ailleurs avec tant de précision la personnalité. Au contraire, avec Aristophane, nous nous trouvons en face d’un homme dont nous nous sommes déjà fait une idée en lisant ses comédies. La question est donc de savoir si l’Aristophane du Banquet s’accorde avec cette idée. — À première vue, on doit en convenir, il nous déconcerte un peu : sa présence surprend à ce banquet dont Socrate doit être « l’hôte d’honneur » ; de même, l’amicale courtoisie avec laquelle le traite celui-ci ; enfin, la mention qui est faite de lui au nombre de ceux qu’a saisis le délire philosophique (218 b). Pour nous en effet Aristophane est l’homme qui, dans les Nuées, a vilipendé Socrate ; qui l’a représenté comme le plus dangereux de tous les Sophistes ; qui, en faisant de lui un songe-creux en même temps qu’un impie, s’est déclaré l’adversaire de la spéculation philosophique ; qui, en fin de compte, a appelé sur ses pareils et sur lui la vengeance populaire. À l’époque supposée du banquet d’Agathon, les secondes Nuées, dans lesquelles l’âpreté de la satire semble avoir été plutôt accentuée qu’adoucie, ne sont vieilles que de sept ans. Comment oublier d’autre part avec quelle précision dans l’Apologie (18 cd, 19 cd) Platon fait retomber sur Aristophane la responsabilité initiale du procès intenté à son maître[1] ? On comprend dès lors que d’anciens critiques aient pu voir là un problème, et en même temps on s’étonne qu’à ce sujet les partisans de l’historicité des dialogues ne soient pas allés jusqu’au bout de ce qu’exige leur thèse : devra-t-on dire que Platon veut ici nous indiquer que Socrate n’avait pas tout d’abord compris la portée dangereuse de la caricature qu’Aristophane avait faite de lui ? ou bien que, ayant ressenti l’offense, il l’avait pardonnée ?

Ces conjectures soutiendraient difficilement l’examen. Visiblement, ici comme ailleurs, Platon, apologiste de la mémoire de son maître, héritier à ses propres yeux de la pensée de celui-ci, a voulu traiter Aristophane en adversaire[2]. Déjà on a eu l’occasion de relever certains traits qui

  1. Cf. aussi Phédon 64 b, 70 bc, et p. 11 n. 3.
  2. Voir Brochard, art. cité, p. 72 sq., 89 sq.