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NOTICE

tophane aux côtés de Socrate, ce n’est pas dans un autre esprit que celui qui l’anime à son égard dans l’Apologie ou dans le Phédon.

Mais d’un autre côté il se refuse, comme j’essaierai de le montrer, à imiter envers Aristophane l’injustice aveugle de ce dernier envers Socrate ; il tient à rester équitable dans sa sévérité. Platon exècre Aristophane, et pourtant il a conscience de la parenté qui existe entre leurs deux génies ; il le juge dévoyé et malfaisant, mais il sent en lui ce don prodigieux, qu’il possède lui-même, d’unir le badinage de l’expression au sérieux de la pensée, de marier la poésie la plus délicate ou la plus émouvante, non sans doute comme lui à la verve bouffonne, mais aux plus profondes spéculations. Rien n’atteste mieux d’ailleurs chez Platon une pénétrante intelligence de la manière d’Aristophane que le discours qu’il a mis dans sa bouche : c’est un chef-d’œuvre et, véritablement, le scénario d’une comédie féerique dans le genre de ce que sont les Oiseaux.

On s’imagine en effet sans peine un chœur bouffon d’hommes d’une seule pièce et tout en boule[1], avec leurs huit membres, leurs deux visages, leurs attributs sexuels en double et, dans le cas des androgynes, contraires sur chaque face, faisant enfin la roue sur la scène (189 d sqq.) : chœur étrange et bien propre à exciter la gaîté populaire ! Voici maintenant, au milieu d’eux, les protagonistes hardis d’une entreprise contre l’Olympe (190 bc). Bientôt, nous assisterons au conseil des dieux menacés ; nous entendrons le discours de Zeus (190 c-e) ; nous serons témoins de toute cette chirurgie et prothèse apolliniennes qui, selon les modifications qu’exige le plan d’abord arrêté, doivent peu à peu donner naissance à l’humanité actuelle (190 e sq., 191 a-c). On croit voir, maintenant dédoublés, ces hommes massifs du début ; on devine quelles expressions lyriques seraient données à l’aspiration de chaque moitié vers la moitié qui lui correspond, au désespoir de la recherche infructueuse, à la joie, trop rare, de s’être enfin réunie à la moitié qui la complète et avec laquelle elle reconstituera son unité primitive (191 ab, d sqq., 193 bc). À présent, c’est l’apparition

  1. Sur ceci, cf. p. 30 n. 2. De l’interprétation que j’ai tenté de défendre dans cette note, je suis seul responsable.