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LE BANQUET

d’Hèphaistos, armé de ses outils de forgeron ; la scène est ébauchée : il offre aux moitiés qui se sont ainsi retrouvées de les souder définitivement l’une à l’autre (192 d sqq.). Enfin, une conclusion morale : nous sommes des êtres déchus, dont l’impiété a causé la déchéance ; l’amour est le seul remède à notre misère, l’unique moyen de notre salut par le retour à l’état de choses d’autrefois (189 d, 191 d, 193 d) ; mais nous tomberons plus bas encore si nous revenons aux fautes qui nous ont perdus (190 d, 193 ab). — Bref nous trouvons ici les caractères les plus essentiels de la comédie aristophanesque : une thèse et une affabulation dont elle se revêt, mélange étourdissant de bouffonnerie effrénée et d’admirable poésie, comme on ne trouve le pareil que dans Shakespeare. En ce qui concerne la thèse elle-même, Platon a voulu qu’elle fût la plus profonde de toutes celles qu’expose cette première partie du Banquet, la plus proche de celle qu’il fera exposer par sa Diotime : c’est ce qu’on peut appeler la théorie de l’âme-sœur, et Aristophane est en droit de dire que, par elle, il a rompu non pas seulement avec le pédantisme didactique, mais avec le point de vue même de Pausanias et d’Éryximaque. Il abandonne la distinction des deux Amours : pour lui l’amour est un dans son essence, et sa fonction est de recréer l’unité ; c’est d’autre part à une sorte de mystère qu’il se propose d’initier ceux qui l’écoutent (189 d ; cf. p. 29, n. 3), car l’amour contient tout le mystère de notre destinée. Au reste, la seule critique que Platon fasse à cette doctrine (205 de), c’est qu’elle ne qualifie pas suffisamment l’unité ni l’unification dont elle parle, et qu’elle ne dit pas dans quelles conditions elles sont désirables. — Ainsi, en résumé, l’animosité de Platon à l’égard d’Aristophane ne l’a pas empêché de lui faire exprimer ce qu’on peut exprimer de plus pénétrant sur l’amour, quand on le fait sans être soutenu par la philosophie.

Examinons maintenant d’un peu plus près le discours d’Aristophane. Ce qui, aux yeux d’un lecteur superficiel, le caractérise principalement, c’est la conception fantastique des origines et de l’évolution de l’espèce humaine. En un sens cela est, on l’a vu, bien aristophanesque. Mais ce qui paraît avoir suggéré cette invention burlesque à Platon, c’est une hypothèse très sérieuse, celle qui est au fond de l’anthropogonie fantastique d’Empédocle d’Agrigente (cf. p. 29, n. 3).