Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 2 (éd. Robin).djvu/67

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NOTICE

Tout d’abord, ces étranges hommes primitifs que décrit Aristophane sont proches parents de ces assemblages étranges qui, d’après Empédocle, se sont primitivement constitués ; êtres aux pieds tournés et rampants, avec d’innombrables mains ; êtres à double visage et à double poitrine ; bovins à face d’hommes, humains à face de bœufs ; androgynes enfin (fr. 60 et 61, Diels). Il expliquait en outre comment, sous l’action du feu s’élevant vers les régions du ciel, la terre avait produit « d’abord des formes tout d’une pièce [οὐλοφυεῖς τύποι] ayant leur part, à la fois, d’humidité et de chaleur,… ne manifestant pas encore l’aimable conformation de nos membres et dépourvus de voix, ne possédant pas les organes sexuels de la façon qui est naturelle à l’espèce humaine » (fr. 62[1]). L’inspiration ne semble pas contestable, car l’idée essentielle de l’anthropologie d’Aristophane, c’est précisément l’existence primitive, en un tout indivisé, d’êtres qui se différencieront par la suite. Leur dédoublement comme conséquence d’un sectionnement et tout ce qui en résulte, leur sphéricité comme conséquence de leur origine astrale (190 b), tout cela ce sont des variations de Platon sur le thème initial. Au surplus, il n’y a en cet emprunt rien qui puisse étonner : l’influence d’Empédocle sur la pensée de Platon se manifeste en bien d’autres occasions[2].

Un point plus important est de déterminer quelle est l’attitude d’Aristophane à l’égard de l’amour masculin. Jusqu’à présent, exception faite pour les allusions de Phèdre à Alceste et à Eurydice, il a pu sembler qu’il n’en existât pas d’autre. Et certes Aristophane lui-même en parle en termes flatteurs (191 e-192 b) : ceux qui le pratiquent sont les meilleurs, et on les blâme à tort de ce qui manifeste au contraire la supériorité de leur nature originelle. En examinant toutefois le passage avec un peu d’attention, on se demandera si cette bienveillance n’est pas tout apparente, et si le langage d’Aristophane ne lui est pas dicté par le seul désir de rester d’accord avec l’idée bouffonne de laquelle il est parti. Une première remarque en effet, c’est que, d’après lui, le penchant à s’occuper de politique est généralement lié à cette sorte

  1. Avec le commentaire que Simplicius donne du passage. Voir E. Bignone, Empedocle, p. 578-580 ; cf. p. 191.
  2. Cf. Bignone, op. cit. p. 605-611, p. 613-623.