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LE BANQUET

d’amour ; or la politique est une occupation pour laquelle les comédies d’Aristophane ne témoignent aucune tendresse. Si l’on songe ensuite à la manière dont il traite Agathon dans les Thesmophories (cf. p. lxv sqq.), ne semblera-t-il pas que parler du mâle complémentaire que Pausanias aime en lui (193 bc), c’est tourner en dérision la raison justificative de l’amour masculin ? Au reste, le caractère comique de cette application de la thèse est expressément souligné. Il y a plus : à deux reprises (192 bc, 193 c déb.) Aristophane indique avec force que cet amour-là n’est pas l’unique facteur de la naissance de l’émotion amoureuse et que la théorie qu’il a exposée concerne aussi bien les femmes. Enfin, Platon lui prête une opinion très voisine de celle qu’il a lui-même exprimée dans ses Lois (cf. p. xlv sqq.) : pour Aristophane en effet un seul amour répond à la volonté des dieux, celui dont la fin est la génération et la reproduction de l’espèce, celui dont l’adultère est une perversion ; inversement, l’amour contre nature est, en vertu de cette même volonté, condamné à une satiété qui aura pour effet de détacher, pour un temps au moins, ces amoureux de leur passion, tandis que les vrais amoureux, ceux qui le sont selon le vœu de la nature, ne veulent pas de ces interruptions (193 c). Il s’ensuit implicitement, semble-t-il, que, si les premiers restent fidèles à leur attachement stérile, c’est en désobéissant à la volonté de Zeus. Qu’on ne dise pas que cette évocation d’une règle morale d’origine divine sonne faux dans la bouche d’Aristophane, qu’elle s’accorde mal avec l’irrévérence dont, ici (190 d) comme dans ses comédies, il fait preuve à l’égard des dieux. Des croyances très élevées et profondément sincères ne peuvent-elles donc s’accommoder de plaisanteries sur une dénaturation grossièrement matérialiste de ces mêmes croyances ? L’anthropomorphisme, avec tout ce qu’il comporte, a tué la piété honnête et simple : telle est au fond la pensée d’Aristophane. Il est un fait, en tout cas, qu’on ne peut méconnaître : dans le discours qu’il lui fait tenir, Platon n’a pas voulu se souvenir que les Nuées ont fait de Socrate un contempteur des dieux ; il a mis au contraire au premier plan cette idée que la misère de notre condition est une conséquence de l’impiété, et que, en nous y obstinant, nous aggraverons encore cette misère (cf. p. lx et p. 36, n. 2). Difficilement on trouvera dans l’expression de cette idée un