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NOTICE

moyen de déconsidérer l’adversaire ; il est plus raisonnable d’y chercher une image intentionnelle de son attitude ordinaire sur ce sujet.

Il n’est que juste enfin d’appeler, une fois de plus, l’attention sur la beauté et l’élévation de l’idée que se fait de l’amour l’Aristophane de Platon. Pour lui, la jouissance sensuelle n’est pas le fondement du véritable amour ; celui-ci réside en une aspiration confuse de notre nature à se répandre hors d’elle-même et à se compléter en communiant de pensée et de sentiment avec un autre être, de façon à devenir en deux personnes une seule âme ; il consiste aussi, une fois qu’une mystérieuse émotion nous a, d’un coup, révélé cette union du cœur, à en sauvegarder sans défaillance la continuation jusqu’à la mort, et même au delà (191 ab, d ; 192 b-e). Le langage dans lequel s’expriment ces idées est d’une force et souvent d’une délicatesse incomparables. En rendant, avec une si haute impartialité, à l’homme qu’il abomine la justice à laquelle cependant il a droit, Platon ne trahit donc pas l’image que nous nous sommes faite d’Aristophane ; loin de la dénaturer, il contribue au contraire, par miracle, à la préciser et à l’enrichir.


Intermède
(193 d-194 e).

Après Aristophane doit parler Agathon. Mais leurs deux discours sont séparés par un intermède de quelque étendue. La raison en est, à certains égards, assez claire (cf. p. li) : Platon a voulu à la fois détacher le discours d’Aristophane et détacher celui d’Agathon ; dans l’ordre des conceptions dépourvues de base philosophique, ils s’opposent en effet distinctement l’un à l’autre. D’un point de vue extérieur tout d’abord, l’un est une expression de la poésie comique, l’autre émane d’un poète tragique. Mais surtout, tandis que le premier manifeste l’imagination concrète la plus riche, alliée à une sensibilité pénétrante et souvent très noble, le second est une construction purement formelle et la mise en œuvre d’une formule rhétorique, un agencement de phrases et de mots, brillant sans doute, mais pauvre de substance. C’est le talent, fait de procédés techniques et d’artifices, en face de l’expansion spontanée d’un génie sans discipline. Platon paraît avoir pensé que le contraste serait mieux senti grâce à un repos de l’attention.