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LE BANQUET

Ce qui, par contre, dans cet intermède se voit moins clairement, c’est la raison de son contenu. Éryximaque se déclare désarmé, car il a écouté Aristophane avec un vif plaisir. Si ce n’était maintenant le tour de parole d’Agathon, puis de Socrate, il se dirait qu’on ne peut mieux parler de l’Amour qu’on ne l’a fait jusqu’ici. À quoi Socrate fait chorus, couvrant de louanges anticipées le discours d’Agathon, qui doit précéder le sien. Au surplus, ces louanges n’ont pas pour but d’intimider l’orateur : comment pourrait-il y songer après l’avoir vu imperturbable en face de la foule des spectateurs, alors qu’une œuvre de lui allait être produite sur le théâtre ? Certes, réplique Agathon ; il n’y a pas de quoi se troubler devant une foule, composée d’imbéciles ; mais un petit auditoire de gens d’esprit est beaucoup plus redoutable ! Sur ce, Socrate proteste qu’il n’a aucun doute sur la « distinction » de son hôte, ni sur sa répugnance à l’égard du vulgaire. Qu’il y réfléchisse pourtant : cette minorité, dont le jugement l’effraie aujourd’hui, ne faisait-elle pas partie de la foule qui l’a applaudi hier ? C’est donc qu’elle est elle-même faite d’imbéciles ! De plus, la question est-elle en vérité de savoir si ceux qui jugent sont peu ou beaucoup ? Le nombre ne fait rien à l’affaire, et une mauvaise action ne cessera pas d’être une mauvaise action, parce qu’émanera d’une foule le jugement qui la déclare être ce que réellement elle est[1]. En résumé, cet intermède, s’il est commandé par le souci de l’effet dramatique, est utilisé pour rappeler quel est l’objet général du débat, et spécialement entre Socrate et Agathon : il s’agit de comparer entre elles deux sortes de savoir, celui des Sophistes ou rhéteurs, et celui du philosophe ; le premier s’attache aux apparences et aux circonstances extérieures, le second vise à connaître ce que valent réellement les choses (cf. p. xxx). Mais il suffit à Platon, de l’avoir rappelé, ou plutôt suggéré : Phèdre veille à l’exécution du programme, il coupe court à ce débat qui, en s’éternisant, risquerait de la compromettre, et il invite Agathon à parler.

  1. Telle est, je crois, la suite des idées. L’identification socratique de la connaissance et de l’action, et par conséquent de la faute logique ou esthétique avec la faute morale, n’a rien à voir ici, quoi qu’en ait pensé Hug (p. 102 ad d 2). Rettig me paraît avoir mieux compris la pensée de Platon (p. 24 sq.).