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LE BANQUET

Agathon a été désigné dans le Banquet comme le bien-aimé de Pausanias, et le Protagoras insinue que la chose date de loin (cf. p. XXXI, n. 1) ; quelle que puisse être par conséquent la part de l’exagération comique chez Aristophane, ses allégations relatives aux mœurs efféminées d’Agathon ne sont pas, on le voit, démenties par Platon. Le sujet des Thesmophories est bien connu : Euripide craint que les femmes ne se vengent sur lui de tout le mal qu’il a dit d’elles ; aussi, pour plaider sa cause dans leur assemblée, le jour où elles célèbreront, seules, la fête de Dèmèter et de Corè, a-t-il besoin d’un homme qui puisse se glisser dans leurs rangs sans être reconnu, d’un homme qui ait l’air, le costume et les mœurs d’une femme. Or, qui pourrait, mieux qu’Agathon, remplir cet office (90-92, 184-186) ? À le voir, on le prend pour une courtisane : il porte la robe safranée des femmes, un soutien-gorge, une résille ; il a un bonnet pour la nuit, un châle qu’on voit posé sur son divan ; son miroir est toujours sous sa main. Pourquoi donc alors n’a-t-il pas de poitrine ? pourquoi ce luth, cette lyre, et surtout cette épée ? Est-ce une femme, est-ce un homme ? Ni l’un, ni l’autre ; mais ses vers disent assez ce qu’il est (134-145 ; cf. 249-258) ! Son visage est gracieux ; son teint, blanc ; il est tout rasé, et son rasoir ne le quitte pas ; sa voix est d’une femme ; il est délicat[1] et joli à regarder (191 sq. ; cf. 218-220). Au demeurant, c’est un lâche : malgré tant de titres au rôle qu’Euripide lui destine, il refuse, avec de grands mots, de le prendre pour lui (193-209). Quant à sa poésie, elle est, ainsi qu’il en doit être, l’image fidèle de son caractère ; il a voulu d’ailleurs adapter celui-ci aux sujets qu’elle traite (148-167). Ceux qui l’entendent frissonnent des émotions les plus sensuelles (130-133). Elle est, avec cela, maniérée et sans vigueur : Aristophane en compare la complication étriquée aux couloirs d’une fourmilière, la musicalité vide à un simple gazouillis, ou encore au bourdonnement d’une mouche (100 ; cf. 45, 48). Qu’est-ce pour lui que la composition d’un drame ? une succession de besognes mécaniques : il dresse un échafaudage, il ploie les vers en courbures inusitées, il façonne les uns au tour et assemble les autres à la

  1. Ἁπαλός, qualité que, dans son discours, l’Agathon du Banquet attribue à l’Amour (195 c-e).