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NOTICE

colle, il forge des maximes, il change les noms des choses, il verse la cire molle, la modèle et l’arrondit, il y coule le métal (53-57). Au reste Aristophane s’amuse à pasticher le style d’Agathon, soit par la bouche de l’esclave qui annonce la venue du Maître, soit en faisant parler le Maître lui-même ou le Chœur qui l’accompagne (39-48[1], 101-129).

Le discours d’Agathon dans le Banquet répond tout à fait bien à la définition ou description que les Thesmophories nous ont données de sa manière de composer et d’écrire. Il est difficile d’imaginer une construction plus artificielle, plus sophistiquée et plus vide. Tout d’abord l’échafaudage est monté, tel que l’exige la formule technique de l’éloge proprement dit, c’est-à-dire de l’encômion (cf. p. xxxii). Mais la vérité est que cet échafaudage est à lui seul tout le discours : tout ce qui s’y ajoute n’est en effet que factice assemblage de mots, collage de pièces et de morceaux, inflexions symétriques de la phrase, fausse poésie, recherche pure de l’effet musical dans le rythme ou la sonorité aux dépens du sens, variations monotones[2], pour ainsi dire sans thème, et qui sont à elles-mêmes leur propre objet, liaisons de pensée qui ne sont que des calembours ou, tout au moins, des à peu près (cf. p. 41, n. 1 ; p. 44, n. 4). Cette fastidieuse virtuosité, cette préciosité ridicule atteignent leur apogée, ainsi que l’observera railleusement Socrate, dans ces « litanies » de l’Amour dont est faite la péroraison (197 de) : des phrases sans verbes[3], un bouquet baroque de froide mythologie,

  1. Les deux vers qu’Agathon improvise dans le Banquet (197 c) rappellent les vers 43 sq. des Thesmophories.
  2. Aussi Socrate loue-t-il ironiquement Agathon (198 b 3) de la variété de son discours.
  3. Il arrive à Platon de distinguer ὄνομα, le nom, substantif ou adjectif, et ῥῆμα, le verbe (Crat. 424 e sq., 431 bc ; Théét. 206 d [les exemples de 168 d et 184 c, signalés dans le Lexicon d’Ast, ne sont pas incontestables] ; Soph. 261 e-262 e, cf. 236 d in.). Si tel est le sens de ῥημάτων à 198 b 5, on verra une ironie particulièrement mordante dans les compliments que fait Socrate à Agathon sur la beauté, dans sa péroraison, des noms et des verbes, car ceux-ci y font presque complètement défaut. Cette interprétation, qui est celle de M. Bourguet, suppose qu’il y a ici un jeu de mots sur le double sens de ῥῆμα qui, plus ordinairement, signifie une phrase, par opposition